- ALLEMAGNE - République démocratique allemande
- ALLEMAGNE - République démocratique allemandeLa Deutsche Demokratische Republik (D.D.R., en français R.D.A.) s’est comportée depuis sa création en 1949 comme la démocratie populaire la plus fidèle à Moscou et comme l’une des plus réticentes à faire place aux aspirations libérales qui se manifestaient dans le camp socialiste.De prime abord, cette attitude peut sembler paradoxale car l’Allemagne de l’Est fut longtemps traitée sans ménagement par Staline qui lui fit largement supporter le poids de la défaite du nazisme. La fidélité des dirigeants est-allemands à l’égard du Kremlin s’explique néanmoins par la situation particulière de leur État. Pris entre leur patriotisme qui les orientait vers la réunification de l’Allemagne et leurs convictions marxistes, qui les incitaient à consolider chez eux le socialisme, ils étaient conscients qu’une réunification ne pourrait se faire qu’au profit des forces économiques et sociales dominantes en R.F.A. Ainsi s’expliquent, d’une part, la persistance de leur attitude hostile envers les dirigeants ouest-allemands accusés de visées bellicistes et impérialistes et, de l’autre, leur soutien inconditionnel à l’U.R.S.S., garante à leurs yeux contre toute tentative de réunification au profit de la R.F.A. Ce fut enfin la raison de leurs efforts aussi gigantesques que peu réalistes pour élever leur économie au niveau atteint par celle de la République fédérale, condition indispensable, mais qui s’avéra utopique, à une réunification allemande qui ne serait pas une simple absorption de leur État.1. La zone soviétique (mai 1945-oct. 1949)La zone soviétique est née de la Seconde Guerre mondiale. Les Alliés, États-Unis, Grande-Bretagne, Union soviétique, ayant décidé de n’accepter du Reich hitlérien qu’une capitulation sans conditions (conférence de Casablanca, janv. 1943), durent envisager l’occupation totale du territoire ennemi. La zone attribuée à l’Armée soviétique comprenait la partie orientale du territoire allemand de 1937, jusqu’à une ligne Lübeck-Helmstedt-Eisenach-Hof. Mais l’Union soviétique transféra au gouvernement provisoire polonais l’administration des territoires allemands situés à l’est de la ligne Oder-Neisse et ne considéra plus ces territoires comme faisant partie de sa zone d’occupation. Celle-ci représentait ainsi 100 000 km2 environ, soit 23 p. 100 du territoire, 22 p. 100 de la population et du revenu national du Reich de 1937.Le prix de la défaiteLe 5 juin 1945, les commandants en chef des armées victorieuses prenaient l’autorité suprême en Allemagne et le maréchal Joukov annonçait l’entrée en fonctions, sous son commandement, d’une administration militaire (Sowjetische militärische Administration : S.M.A.) chargée de la zone soviétique d’occupation (Sowjetische Besitzungszone : S.B.Z.).Le maréchal resta en fonctions jusqu’au 10 avril 1946 et son action répondit à une double préoccupation: réparations et sécurité. L’U.R.S.S. avait, à Yalta, avancé une demande de réparations de 10 milliards de dollars; d’accord sur le principe, les Anglo-Saxons contestèrent le montant. Dès leur entrée en Allemagne, les Soviétiques se payèrent sur le terrain (Trophäenaktion ): machines-outils, voies ferrées, installations sanitaires furent expédiées en Russie. Puis, conformément aux décisions de Potsdam qui leur permettaient de prélever 40 p. 100 de l’équipement industriel de leur zone, à partir de l’été de 1945 ils démontèrent de nombreuses usines.La politique de sécurité comportait des clauses territoriales: cession à l’U.R.S.S. de Königsberg et du nord de la Prusse-Orientale, recul de la frontière orientale de l’Allemagne jusqu’à la ligne Oder-Neisse. La conférence de Potsdam du 17 juillet au 2 août 1945 entérina ces clauses, sauf à confirmer et préciser les frontières nouvelles au traité de paix. Au même souci de sécurité répondaient les décisions de la conférence relatives à la démilitarisation, à la dénazification, au contrôle de la production industrielle. Les Soviétiques agirent avec rapidité et vigueur: dès le 27 août, tous les nazis, policiers, officiers durent s’inscrire auprès des Komendatoura ; beaucoup furent arrêtés, internés dans les anciens camps de concentration ou transférés en U.R.S.S. pour y être jugés. Mais avant tout, les Russes, en marxistes, attendaient leur sécurité d’une destruction des «racines du fascisme» en Allemagne, c’est-à-dire d’une modification des structures de la société.Première réforme agraireCe désir de sécurité est à l’origine de la «révolution antifasciste-démocratique», imposée assurément par les autorités d’occupation, mais réalisée par les «forces antifascistes» allemandes. Dès le 10 juin 1945, plusieurs mois avant les Occidentaux, Joukov avait autorisé la réorganisation des partis politiques. Le lendemain, le Parti communiste (K.P.D.) lançait un appel au peuple allemand, préconisant une «République parlementaire qui achèverait la transformation démocratique bourgeoise commencée en 1848» et non pas un régime de type soviétique, non approprié aux conditions allemandes du moment. Dans les jours qui suivirent, le Parti socialiste (S.P.D.), l’Union chrétienne démocrate (C.D.U.), le Parti libéral démocratique (L.D.P.D.) reprirent leur activité, formant, à la demande de l’autorité occupante, un front uni. Beaucoup plus vite qu’à l’Ouest, dès juillet 1945, les Soviétiques leur confièrent les responsabilités de l’administration des provinces et de la Zone. Aux mains d’hommes sûrs, mais pas nécessairement communistes, ces organismes relancèrent la vie de la Zone, lui imprimant un caractère antinazi très marqué. La première des réformes fut la réforme agraire (Bodenreform ). Réclamée depuis toujours par les partis ouvriers dans ces régions où la grande propriété dominait, puisque 1 p. 100 des propriétés couvrait 28 p. 100 du sol, elle avait été promise par les deux appels des 11 et 15 juin du K.P.D. et du S.P.D. D’autre part, il fallait régler avant les semailles d’automne le sort des nombreuses terres abandonnées par les Junkers qui avaient fui devant l’armée soviétique. Dès lors furent prises dans chaque province, en septembre 1945, des mesures prévoyant: la confiscation des terres des nazis et criminels de guerre, l’expropriation sans indemnité des domaines de plus de 100 hectares, la répartition de toutes ces terres en lots de 12 à 15 hectares aux paysans pauvres, ouvriers agricoles et expulsés des territoires de l’Est. Des commissions spéciales, animées le plus souvent par le Parti communiste, réalisèrent la réforme qui, pour l’essentiel, s’acheva en avril 1946: 6 350 grands propriétaires, 4 000 nazis et criminels de guerre furent expropriés, et leurs quelque deux millions d’hectares, soit un tiers du territoire agricole, furent attribués à près de 500 000 familles. Le tiers de la population agricole en bénéficia et manifesta son accord aux élections de septembre 1946: c’est dans le Mecklembourg agricole que le Parti socialiste unifié (S.E.D.) obtint son meilleur pourcentage.Dans l’industrie, socialistes et communistes réclamaient des nationalisations, et les premiers la résurrection des conseils d’entreprise (Betriebsräte ) de la période de Weimar. Mais en ce domaine la relance fut laborieuse: les destructions étaient importantes, aggravées par la fuite vers l’Ouest de nombreux patrons et par la politique de démontage des Soviétiques. On se contenta de mesures provisoires. Un an après la fin des combats, la production industrielle était à l’indice 43 par rapport à 1936.Création du Parti socialiste unifiéÀ partir du printemps de 1946, le climat international se détériora: l’Allemagne devenait progressivement un enjeu de la rivalité entre l’U.R.S.S. et les Anglo-Saxons. Molotov en juillet 1946, Byrnes, en septembre, se prononçaient l’un et l’autre en faveur de la reconstruction d’une Allemagne unifiée et démocratique; mais il était clair que les deux hommes ne donnaient pas le même sens au mot de démocratie.La construction dans la zone soviétique d’un «ordre démocratique antifasciste» (1946-1948) correspondit à cette phase de la guerre froide commençante. La première préoccupation fut le renforcement des «forces démocratiques» par l’union des partis ouvriers K.P.D. et S.P.D. L’idée de la fusion, appuyée sur la référence aux erreurs de 1932, était connue depuis décembre 1945, mais se heurtait à de vives résistances aussi bien au niveau de la direction des zones occupées par les autres alliés qu’au niveau de la base, surtout à Berlin où les souvenirs de l’entrée de l’armée soviétique étaient encore vivaces. L’opération, vivement désirée par la S.M.A., fut acquise par le ralliement des chefs socialistes, Otto Grotewohl et Max Fechner. L’accord se fit sur un programme définissant «la voie spécifique (Sonderweg ) de l’Allemagne vers le socialisme» dont le théoricien fut le communiste Anton Ackermann. Le congrès de l’unité qui se tint à Berlin le 21 avril 1946 décida la création d’un Parti socialiste unifié (S.E.D.) et porta à la présidence le communiste Wilhelm Pieck et le socialiste Otto Grotewohl. Le parti comptait alors 1 298 000 membres, dont 47 p. 100 venant du Parti communiste, et 53 p. 100 du Parti socialiste. C’est lui qui affronta, à l’automne de 1946, les élections communales et provinciales, les premières depuis 1933; elles donnèrent 47 p. 100 des voix au S.E.D., 24,6 p. 100 au Parti libéral démocratique (L.D.P.D.), 24,5 p. 100 à l’Union chrétienne démocrate (C.D.U.).Sur cette base, l’autorité d’occupation transféra les pouvoirs d’administration aux assemblées provinciales qui constituèrent des gouvernements dans les cinq Länder de Saxe, Thuringe, Saxe-Anhalt, Brandebourg et Mecklembourg. Sur 38 postes ministériels au total, le S.E.D. en avait 22, le L.D.P.D. 9, la C.D.U. 7. Comme dans les zones occidentales, un gouverneur militaire, soviétique, contrôlait l’action de ces gouvernements qui était de plus coordonnée par les «administrations centrales» créées dès juillet 1945: compromis entre le fédéralisme demandé par le Conseil de contrôle et la politique unitaire prônée par Molotov.Réparations et nationalisationsEn même temps, et conformément à l’analyse marxiste, on donnait à cette démocratie sa base économique. Le 5 juin 1946, l’administration militaire (S.M.A.) décidait que les 213 plus grosses usines, jusque-là soumises au séquestre et représentant 25 p. 100 de la capacité industrielle de la Zone, devenaient propriété soviétique (Sowjet Aktiengesellschaft : S.A.G.) et seraient exploitées au compte des réparations. Quant aux autres usines sous séquestre, des lois de nationalisation furent promulguées par les Länder: 3 843 entreprises industrielles furent touchées, représentant 20 à 25 p. 100 de la capacité de production. À la fin de 1946, la moitié du potentiel industriel de la Zone avait été enlevée aux capitalistes.Cette «révolution silencieuse» se fit, non sans à-coups, au milieu d’une terrible pénurie, moins grave toutefois que dans la zone britannique. Les démontages d’usines, Zeiss d’Iéna par exemple, continuèrent, accompagnés du départ forcé pour l’U.R.S.S. de spécialistes, tandis que les S.A.G., tout en donnant du travail aux ouvriers allemands, privaient l’économie de la Zone d’une part importante de la production lourde. L’exploitation des mines d’uranium de l’Erzgebirge par la Wismut A.G., propriété soviétique, employait une nombreuse main-d’œuvre, en partie forcée. Enfin, durant toute l’année 1946 continuèrent à arriver les 2,7 millions d’expulsés de Pologne et de Tchécoslovaquie prévus par la décision du Conseil de contrôle du 20 novembre 1945. Au 29 octobre 1946, la zone soviétique avait recensé 3,6 millions d’expulsés, soit 21 p. 100 de la population, contre 13,5 p. 100 dans les zones occidentales. On mesure l’ampleur des problèmes posés.Il est d’autant plus remarquable que les autorités de la Zone se soient préoccupées d’une politique à long terme dans le domaine de l’éducation, de la jeunesse et de la culture. La dénazification y fut beaucoup plus rapide et plus complète qu’à l’Ouest: les écoles rouvrirent dès octobre 1945 avec des maîtres improvisés, mais antifascistes; l’université de Berlin recommença ses cours en janvier 1946. Le 7 mars était fondée la Jeunesse allemande libre (Freie Deutsche Jugend, F.D.J.) sur le modèle des Komsomols; le 1er août, l’Académie des sciences de Berlin reprenait ses travaux et la nouvelle loi scolaire entrait en vigueur le 1er septembre 1946. Ce dynamisme dans le domaine culturel, lié à l’activité politique et aux réformes de structures de la société, faisait de l’ordre démocratique antifasciste de la Zone une ébauche de l’Allemagne rénovée que l’U.R.S.S. proposait à l’ensemble du peuple allemand.Mais à l’Ouest, un autre projet social prenait forme sous l’égide des États-Unis. Le discours de Byrnes, à Stuttgart, le 6 septembre 1946, en avait marqué le point de départ et esquissé la genèse: une reconstruction économique sur la base capitaliste. Le plan Marshall du 5 juin 1947 élargissait l’option à toute l’Europe. Il allait amener la division du continent et couper l’Allemagne en deux.Reconstitution d’un État allemandL’opposition Ouest-Est se manifesta au niveau des Allemands. Tandis que les chefs politiques des zones occidentales célébraient la générosité américaine, le 23 juillet 1947, le Parti socialiste unifié repoussait le plan Marshall, demandant au contraire la «démocratisation de la vie économique dans toute l’Allemagne» et un plébiscite sur le problème de l’unité. Tout en agissant de part et d’autre de telle manière que s’approfondissait le fossé entre les zones occidentales et la zone soviétique d’occupation, les politiciens allemands proclamaient à l’envi leurs désirs unitaires, aucun ne voulant, devant l’opinion allemande, prendre la responsabilité d’avoir eétruit cette unité.Dix-huit mois durant, du plan Marshall à la création de la R.D.A., on assista dans les deux parties de l’Allemagne au développement d’un processus institutionnel, retardé à l’Est par rapport à l’Ouest, et qui aboutit, à l’automne de 1949, à la naissance de deux organismes étatiques: République fédérale et République démocratique.Le 4 juin 1947, en réplique à la création par les Anglo-Saxons d’un Conseil économique de la «bizone», les Soviétiques avaient mis sur pied une «Commission économique allemande» (Deutsche Wirtschaftskommission : D.W.K.) pour l’ensemble de leur zone. Le 9 février 1948, un Conseil des Länder et un conseil administratif furent créés dans la bizone, embryon d’un véritable gouvernement. Les Soviétiques, le 9 mars, élargirent les compétences de la D.W.K. et lui donnèrent des responsabilités gouvernementales.À la conférence de Londres, le 6 mars 1948, décidant sans la participation d’un représentant soviétique l’inclusion des zones occidentales dans une organisation économique de l’Europe de l’Ouest, l’U.R.S.S. répondit par son retrait du Conseil de contrôle et par le départ du maréchal Sokolovski le 19 mars 1948. Le 7 juin, la conférence de Londres annonçait la création prochaine d’un «gouvernement fédéral» pour les zones occidentales et, le 20 juin, les trois Occidentaux lui donnaient déjà une monnaie spécifique. Les Soviétiques ordonnèrent à leur tour, dès le lendemain, une réforme monétaire dans la S.B.Z. À l’introduction, le 23 juin, du Mark occidental à Berlin, répondit le 24 le blocus de l’ancienne capitale.Les Occidentaux se maintinrent dans leurs secteurs respectifs de la ville grâce à un pont aérien. C’est dans ce climat de tension extrême entre l’Est et l’Ouest que furent prises les décisions irréversibles. Le 1er juillet 1948, les gouverneurs militaires occidentaux signèrent les «documents de Francfort» pour servir de base à la future Constitution de l’Allemagne occidentale et, le 1er septembre, un Conseil parlementaire présidé par Konrad Adenauer se mit au travail de rédaction. Le 10 avril 1949, la Conférence de Washington (États-Unis, Angleterre, France) décidait la fusion des trois zones et la fin du régime des gouvernements militaires, remplacés par des hauts-commissaires. Elle affirmait la volonté «de favoriser l’intégration d’un État fédéral et démocratique allemand dans le cadre d’une Europe unifiée» (l’accord de l’O.T.A.N. avait été signé le 4 avril 1949).À cette activité occidentale au niveau de la diplomatie correspondait en S.B.Z. une action au niveau des structures. Le Parti socialiste unifié (congrès de septembre 1947) s’était prononcé pour une politique de bloc, c’est-à-dire pour une collaboration organique de tous les partis politiques et des organisations de masse, de manière à encadrer l’ensemble de la population. Les autorités soviétiques y avaient souligné la possibilité offerte à l’Allemagne d’un passage pacifique au socialisme. La collaboration étroite entre les partis se traduisit par l’élimination des dirigeants de l’Union chrétienne démocrate, Jacob Kaiser et Ernst Lemmer, qui s’opposaient à la ligne Oder-Neisse comme à la politique du S.E.D. Deux nouveaux partis virent le jour au printemps de 1948 pour permettre l’encadrement d’importantes couches sociales: le Parti paysan démocrate (D.B.D.) et le Parti national démocrate (N.D.P.D.) pour les petits nazis et les anciens militaires. Les syndicats et la Jeunesse libre se joignirent à ces formations en un «Bloc des partis antifascistes», dominé par le Parti socialiste unifié (S.E.D.), qui contrôlait désormais toute la vie politique. Celui-ci surmonta sans grande difficulté la crise du titisme de l’été de 1948 et décida, en janvier 1949, sa transformation en un «parti de type nouveau», c’est-à-dire modelé sur le Parti communiste de l’U.R.S.S. Il affirmait désormais «le rôle dominant de la classe ouvrière», envisageait le développement du secteur Volkseigen de l’économie et se donnait un bureau politique (Politbüro ) avec Pieck, Grotewohl, Ulbricht. C’était toujours, affirmait-on, un «ordre démocratique antifasciste», mais dans lequel la classe ouvrière et son parti, le S.E.D., avaient des positions déterminantes. À quoi s’ajoutait le fait que, depuis le 1er janvier 1949, le S.E.D. avait mis en route un plan de deux ans (Zweijahresplan ), qui devait porter l’économie au niveau de 1936, et pour la réalisation duquel avait été lancé le mouvement du stakhanoviste Hennecke en octobre 1948. Au printemps de 1949, la S.B.Z. était prête à devenir une république «démocratique» au sens où l’entendait l’U.R.S.S.Les dernières étapes furent vite franchies, après un nouvel échec des ministres des Affaires étrangères, à Paris en juin 1949, et en dépit de la levée du blocus de Berlin le 12 mai 1949. Une fois encore, les Occidentaux avaient donné le rythme: le 8 mai 1949, adoption par le Conseil parlementaire de la loi fondamentale constitutionnelle; le 14 août, élections pour le Bundestag, puis, en septembre, élections du président de la République Theodor Heuss et du chancelier fédéral Konrad Adenauer.En S.B.Z., un «Congrès du peuple» (Volkskongress ) de 1 400 membres, élu le 16 mai 1949 sur une liste unique par oui ou non , désignait un Conseil du peuple (Volksrat ), qui acceptait le 30 mai le projet de constitution élaboré en mars par un précédent Conseil du peuple. Le 5 octobre 1949, le présidium du Volksrat et du bloc démocratique décidèrent la mise en vigueur de cette Constitution, non sans avoir multiplié les appels à l’unité de l’Allemagne. Le 7 octobre 1949, le Volksrat, présidé par Pieck, se proclamait Parlement provisoire et décidait, en attendant les élections prévues pour le 15 octobre 1950, de constituer un gouvernement provisoire et une assemblée des pays (Länderkammer ): c’est cette date qui est considérée comme la naissance officielle de la République démocratique allemande.Le 11 octobre 1949, l’assemblée portait à la présidence de la République Wilhelm Pieck, un des deux coprésidents du S.E.D., tandis que le second, Otto Grotewohl, constituait le 12 octobre 1949 un gouvernement composé de 8 S.E.D., 4 C.D.U., 3 L.D.P.D., 1 D.B.D., 1 N.D.P.D. et 1 sans parti.Désormais on avait en Allemagne deux organismes étatiques, prétendant l’un et l’autre à la représentation exclusive de l’ensemble des Allemands. En fait existaient dès ce moment deux Allemagnes: le 20 juin 1949, les trois Occidentaux avaient défini un nouveau statut d’occupation et incluaient, en décembre, le gouvernement fédéral dans l’organisation du plan Marshall. En S.B.Z., le 10 octobre 1949, l’administration soviétique de la zone (S.M.A.) transmettait ses pouvoirs au gouvernement provisoire et se transformait en une «commission soviétique de contrôle». L’U.R.S.S. reconnaissait diplomatiquement la République démocratique allemande (Deutsche Demokratische Republik , D.D.R.) le 15 octobre, aussitôt suivie par les autres pays de l’Est, Albanie, Bulgarie, Chine, Corée, Hongrie, Pologne, Roumanie et Tchécoslovaquie.2. La création des bases du socialisme (1950-1955)Cette périodisation utilisée par les historiens de la R.D.A. correspond au premier plan quinquennal (1951-1955). Durant ces années, l’affrontement de la guerre froide atteignit le 17 juin 1953 un point critique qui montra cependant qu’aucun des deux camps n’entendait sortir de sa zone d’influence: l’octroi en 1954-1955 de la pleine souveraineté à chacune des Républiques par son protecteur respectif officialisait la coupure de l’Allemagne en deux États, en dépit des affirmations renouvelées.La mise en place des institutionsLa transformation «socialiste» annoncée dès 1949 devint effective avec la création de la R.D.A.: le climat de tension internationale qui culmina avec le déclenchement de la guerre de Corée, le 25 juin 1950, fit qu’elle se traduisit par un durcissement en tout domaine. Le premier problème était celui des élections qui devaient rendre définitives les institutions provisoires de la République.Il fut décidé, en mai 1950, qu’elles auraient lieu sur des listes uniques du Front national, issu du IIIe Volkskongress en octobre 1949, et ce sur la base d’une répartition a priori des sièges, qui en donnait 55 p. 100 au Parti socialiste unifié (S.E.D.), épaulé par les organisations de masse. Orchestrées par une vaste campagne du Front national, les élections du 15 octobre 1950 apportèrent 99,7 p. 100 des voix à la liste unique. Dans l’intervalle, le IIIe congrès du S.E.D., du 20 au 24 juillet 1950, avait adopté de nouveaux statuts très proches de ceux du P.C. soviétique, qui en faisaient un parti de «type nouveau». Étaient institués la discipline léniniste du «centralisme démocratique», un comité central, etc. Son but: construire le socialisme en assurant la domination politique de la classe ouvrière. À la fin de l’année 1950, par sa vie politique, la R.D.A. avait pris tous les caractères d’une démocratie populaire.L’effort économiqueL’économie suivit. Le premier plan quinquennal, adopté par le IIIe congrès, entra en application au début de l’année 1951: il avait pour objectif de doubler la production industrielle en cinq ans et de faire disparaître les déséquilibres dus aux réparations et à la coupure de l’Allemagne. L’effort principal portait sur l’industrie lourde: énergie, usines, sidérurgie, chimie, machines. Il se matérialisa dès le 1er janvier 1951 par la pose de la première pierre du combinat sidérurgique est, le combinat J. V. Staline, symboliquement construit en bordure de la Neisse pour utiliser le charbon de la Silésie polonaise et le minerai de fer soviétique de Krivoï-Rog. La première coulée d’acier y fut réalisée le 19 septembre de la même année. Cela demandait un effort considérable et postulait de la part des travailleurs un esprit de sacrifice peu commun. Le problème essentiel était donc l’augmentation de la «productivité du travail». Pour cela, on eut recours aux syndicats (Freier Deutsche Gewerkschaftsbund , F.D.G.B.) qui perdirent tout caractère revendicatif pour devenir des organismes de mobilisation des ouvriers. En même temps, ils abandonnaient le neutralisme politique: leur président, Warnke, était membre du comité central et du secrétariat du S.E.D.En matière agricole, le plan décidait une augmentation de la production de 57 p. 100 par an. Pareil progrès semblait difficile pour une paysannerie qui n’avait pas encore trouvé son nouvel équilibre. Les exploitations des «nouveaux paysans» bénéficiaires de la réforme agraire demeuraient fragiles: manque d’outillage, de capitaux, de connaissances agricoles aussi. Pour les aider, on organisa une «Entraide paysanne» et des stations de machines où l’action du S.E.D. était prépondérante. Malgré cela, et en dépit d’une politique des livraisons qui défavorisait systématiquement les «gros paysans» possesseurs de plus de 20 hectares, les paysans aisés désignés comme «koulaks», assurément hostiles à toute socialisation, conservaient ou retrouvaient une influence dans les campagnes. De socialisation, il n’était question ni dans le plan biennal ni dans le plan quinquennal. Il était pourtant évident que la planification de l’agriculture postulait une socialisation de la production agricole. Impératifs économiques et idéologiques s’épaulaient mutuellement et, au mépris de la Constitution qui garantissait la propriété privée du sol, ils annonçaient dès 1950 une transformation socialiste des campagnes.Débuts de la «construction du socialisme»On peut se demander pourquoi la «construction du socialisme» (Aufbau des Sozialismus ) ne fut officiellement proclamée qu’en juillet 1952 à la IIe conférence du S.E.D., réunion extraordinaire dans l’intervalle de deux congrès, et pourquoi elle ne coïncida pas avec le début du plan quinquennal. Ulbricht déclara alors: «Le développement démocratique et économique comme la conscience de la classe ouvrière et de la majorité des travailleurs sont assez avancés pour que la construction du socialisme soit devenue la tâche fondamentale.» Développement démocratique et conscience de la classe ouvrière s’étaient développés, aux yeux des dirigeants, à l’occasion des dernières élections; et les investissements du plan quinquennal avaient permis d’élever à 80 p. 100 de la production industrielle totale la part du secteur socialisé en juillet 1952. Éléments assurément très importants. Il semble toutefois que la date ait été choisie en fonction de la politique internationale. Depuis le mois de septembre 1950, les Occidentaux s’étaient mis d’accord pour permettre la participation de la République fédérale à la défense de l’Europe (conférence de New York du 12 au 23 septembre, plan Pleven du 26 octobre), et l’année 1951 avait vu l’intégration progressive de l’Allemagne de Bonn dans la construction européenne. Au début de 1952, le Bundestag ratifiait le plan Schuman; symétriquement, la R.D.A. était admise dans la Communauté économique orientale (Comecon) à la fin de septembre 1950. La réunification allemande devenait de plus en plus illusoire. L’U.R.S.S., toujours soucieuse de ne pas paraître souscrire à la division du pays, relança en mars 1952 un échange de notes relatives au traité de paix avec l’Allemagne entière. Sans succès. Les Occidentaux disaient: élections libres d’abord, puis gouvernement panallemand; les Soviétiques répondaient: gouvernement d’abord et élections ensuite.Lorsqu’en mai 1952 les accords de Bonn abolirent le statut d’occupation et que le traité de la Communauté européenne de défense (C.E.D.) ouvrit la porte au réarmement de l’Allemagne occidentale, les Soviétiques considérèrent que la carte de l’unité perdait beaucoup de sa valeur: une Allemagne partielle «socialiste» en acquérait davantage. Les dirigeants du Parti socialiste unifié, marxistes convaincus que l’histoire allemande devait aboutir au socialisme, obtinrent de Moscou licence pour réaliser leur projet qui renvoyait sine die la réunification de deux systèmes économiques et sociaux radicalement antagonistes. D’où la «construction du socialisme» annoncée les 9 et 12 juillet 1952.Il s’ensuivit une année de tension extrême. Dans l’industrie, la bataille pour l’augmentation de la productivité conduisait à introduire des normes scientifiques de travail qui requéraient des ouvriers un effort considérable sous peine de diminution de salaire. L’accent mis sur l’industrie lourde restreignait la production de biens de consommation: les magasins offraient de moins en moins de marchandises. La politique de socialisation des campagnes aggrava la pénurie. Dès août 1952, on forma des «coopératives agricoles de production» (Landwirtschaftliche Produktionsgenossenschaft , L.P.G.) de trois types différents, dont l’un très proche du kolkhoz soviétique. Leur multiplication fut très rapide: 240 en août 1952, 4 000 en mai 1953, et se heurta à de vives résistances. On assista à une véritable «liquidation des koulaks», qui, pour n’user que de la «terreur légale» par l’application stricte de la législation sur les livraisons, n’en provoqua pas moins de nombreux départs pour l’Ouest (40 000 paysans de juillet 1952 à juin 1953). La production agricole baissa et les villes manquèrent de pommes de terre, de viande et de beurre. La crise économique se doublait d’une crise politique: le 15 janvier 1953, le ministre des Affaires étrangères Dertinger, membre de l’Union chrétienne démocrate, était destitué et arrêté comme «espion», tandis que son parti s’épurait. Le 14 mars 1953, le comité central du Parti socialiste unifié expulsait de son sein plusieurs de ses membres: signe de l’existence de tendances diverses à l’intérieur du parti. En même temps l’organisation Jeunesse libre entamait la lutte contre les «jeunes communautés évangéliques» (Junge Gemeinden ), et à l’Ouest l’on parla d’un nouveau Kirchenkampf. Des paysans aux étudiants, nombreux furent ceux qui eurent maille à partir avec la justice. La mort de Staline, le 6 mars 1953, donna lieu à des affirmations officielles de fidélité politique: on lui éleva des statues, on baptisa de son nom des rues et des usines, des instituts et des musées. Ainsi, Fürstenberg sur l’Oder devint Stalinstadt. Et la ligne dure de la socialisation continua de plus belle, en dépit, semble-t-il, de mises en garde du comité central du P.C. de l’U.R.S.S.Le 28 mai 1953, le gouvernement décida d’augmenter les normes de travail de 10 p. 100 avant le 30 juin et dans toutes les usines les chronométreurs se mirent à l’œuvre. Les incidents se multiplièrent: attaques publiques contre les responsables syndicaux, arrêts de travail, résistance passive, voire sabotages. Brusquement, le 9 juin, le Politbüro du S.E.D. eut conscience du danger; dans une longue déclaration il proposait au gouvernement des mesures «pour améliorer le niveau de vie de toutes les catégories de la population et pour renforcer la légalité». Il dénonçait une série de fautes: négligence des intérêts des paysans «individuels», des commerçants privés, des artisans, des intellectuels, qui s’était traduite par de nombreuses fuites à l’Ouest. Il préconisait l’octroi de crédits, une amnistie fiscale rétroactive jusqu’en 1951; en particulier pour les gros et moyens paysans, qui pouvaient sortir des coopératives agricoles de production (C.P.G.) s’ils le désiraient et récupérer leurs exploitations individuelles. À quoi s’ajoutait une amnistie pour les membres des Junge Gemeinden, et la possibilité de rentrer pour tous ceux qui avaient fui la R.D.A. Le lendemain les chefs de l’Église protestante négociaient avec le gouvernement. Le 11 juin 1953, celui-ci abrogeait toute une série de mesures et promulguait des lois d’amnistie: ce fut le Nouveau Cours.La révolte de juin 1953Les maçons de la Stalinallee, en construction à Berlin, s’opposaient depuis le 28 mai à leurs dirigeants syndicaux qui voulaient les persuader d’accepter un relèvement des normes. Le 15 juin, en même temps qu’ils remerciaient le gouvernement du Nouveau Cours, ils demandèrent le retour aux normes anciennes. Devant la réticence des syndicats ils décidèrent, le 16 juin au matin, d’aller porter eux-mêmes leurs revendications aux autorités. Vers 9 heures, un cortège se forma; quarante au départ de la Stalinallee, les manifestants étaient 2 000 devant le siège du gouvernement où ni Ulbricht, ni Grotewohl ne se montrèrent deux heures durant. Il n’était encore question que des normes. Mais sur le chemin du retour au chantier, les manifestants furent rejoints par des éléments divers: on cria des slogans en faveur d’élections libres. En fin d’après-midi la radio diffusait un communiqué gouvernemental promettant la révision des normes; la manifestation semblait terminée. Mais dans la soirée, R.I.A.S., le poste émetteur du secteur américain de Berlin, lança les mots d’ordre de grève générale pour le lendemain et d’élections secrètes et libres. Le 17, ce fut un véritable soulèvement populaire. Le métro s’arrêta et, jusqu’à 13 heures, à Berlin, la rue fut à la foule: on conspua les dirigeants, on fit la chasse aux policiers, on incendia baraques de la police et sièges des journaux, on arracha le drapeau rouge de la porte de Brandebourg. À midi, les chars soviétiques de la division de Döberitz prirent position en ville et le général Dibrovwa, commandant militaire de Berlin, proclama l’état de siège à partir de 13 heures. On se battit tout l’après-midi entre la porte de Brandebourg et l’Alexanderplatz, mais vers 21 heures, sans avoir ouvert le feu sur la foule, les Soviétiques étaient maîtres de la situation. En province, Magdebourg, Leipzig, Dresde connurent une journée identique; de la simple démonstration de grève à l’assaut des prisons, toutes les villes industrielles et la plupart des grandes usines socialisées furent en fait le théâtre de troubles.Ce qui est devenu dans l’historiographie officielle de la R.D.A. le jour de la contre-révolution présente en réalité un double caractère: le 16 fut indiscutablement une journée ouvrière. Les dirigeants avaient demandé aux travailleurs un trop grand effort pour construire ce socialisme dont la réalisation lointaine était masquée par l’aggravation des difficultés quotidiennes. Grotewohl l’a reconnu devant les responsables du parti le soir même du 16 juin: «L’avant-garde de la classe ouvrière (c’est-à-dire le parti) s’est détachée de la masse.» Le 17 juin fut autre chose. À Berlin, une flambée de colère, attisée par la radio du secteur américain, détermina les ouvriers des autres corps de métier, les métallurgistes de Hennigsdorf par exemple, à profiter du succès des maçons la veille pour régler d’un coup par la «grève générale» tous leurs problèmes du travail. En province, le point de départ fut identique, renforcé par le réflexe ouvrier de solidarité avec les camarades de Berlin. Une fois le mouvement déclenché, il se grossit de tous les griefs des habitants de la R.D.A. contre le régime. Que les anciens nazis, des provocateurs venus de l’Ouest, aient pris part aux troubles, c’est certain, mais cela n’enlève rien au fait qu’une fraction de la classe ouvrière, celle du secteur socialisé, se trouva à la pointe du combat contre l’État des ouvriers. Les autocritiques des dirigeants le reconnurent et, surtout, leur politique le manifesta.Le Nouveau CoursLe Nouveau Cours (Neuer Kurs ) annoncé le 9 juin 1953 fut une sorte de N.E.P. transitoire, appliquée jusqu’à juin 1955. Des transferts d’investissements du plan permirent d’augmenter la production de biens de consommation, tandis que des crédits soviétiques rendirent possibles des importations de produits alimentaires. Les normes de travail furent ramenées au niveau d’avril 1953, les assurances sociales améliorées, la construction de logements ouvriers accélérée. Dans les campagnes, où les troubles s’étaient limités à quelques grèves, on libéra de nombreux paysans et, en un mois, 2 500 fermes furent rendues à leurs anciens propriétaires. Les taux des livraisons furent abaissés et même 500 coopératives agricoles sur 5 000 furent dissoutes. Mais, en même temps, le comité central du S.E.D. réuni en juillet 1953 procédait à une reprise en main du parti: Fechner, ministre de la Justice, Zaisser, ministre de la Sécurité, le rédacteur en chef de Neues Deutschland furent démis de leurs fonctions et exclus du parti. Le Politbüro était partiellement renouvelé et Ulbricht devenait premier secrétaire, c’est-à-dire, en fait, chef du S.E.D. Il apparaissait le grand vainqueur de la crise. L’U.R.S.S., dont le soutien avait été décisif en cette période, fit un geste de longue portée: en août 1953, elle décida l’arrêt au 1er janvier 1954 des réparations payées par la R.D.A. et la restitution à celle-ci des S.A.G. (propriétés soviétiques). En même temps les deux gouvernements décidaient de relancer la question allemande.La «grande initiative» diplomatiqueCelle-ci domina l’année 1954, que les historiens de la R.D.A. appellent l’«année de la grande initiative». Il s’agissait en fait de s’opposer au réarmement de l’Allemagne occidentale, prévu depuis 1952 par le projet de C.E.D. La conférence des quatre ministres des Affaires étrangères, à Berlin, du 21 janvier au 8 février 1954, vit de nouveau s’opposer thèses soviétiques et thèses occidentales. Les premières préconisaient un gouvernement panallemand provisoire, puis des élections après le retrait des troupes étrangères. Les thèses occidentales donnaient priorité à des élections libres qui aboutiraient à la formation d’un gouvernement. Molotov demanda, de plus, la neutralisation de l’espace allemand et la proposition d’un pacte européen de sécurité de cinquante ans. L’accord ne put se faire. Or, dès le 15 août 1953, l’U.R.S.S. avait nettement souligné que l’inclusion de la République fédérale dans la C.E.D. et l’O.T.A.N. (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) rendrait une réunification allemande impossible. Ce qui était l’évidence.La conférence de Londres et le traité de Paris, en octobre 1954, ayant décidé l’entrée de l’Allemagne de Bonn dans l’O.E.C.E. (Organisation européenne de coopération économique) et l’O.T.A.N., l’U.R.S.S., tout en continuant pour des raisons de propagande à discuter de la réunification, en tirait les conséquences. Le 25 janvier 1955, elle mettait fin à l’état de guerre avec l’Allemagne, ce que les Occidentaux avaient fait depuis 1951; le 14 mai 1955 le pacte de Varsovie était signé, qui incluait la R.D.A. La République fédérale était entrée à l’O.T.A.N. le 9 mai; le 20 septembre 1955, les Soviétiques reconnaissaient la pleine souveraineté de la R.D.A., ce que les Occidentaux avaient fait pour la République fédérale le 5 mai. Désormais les deux États allemands étaient reconnus souverains par leurs protecteurs respectifs et disposaient d’un embryon d’armée. À la loi de Bonn du 23 juillet 1955, autorisant la création d’une Bundeswehr de 6 000 volontaires, répondait la loi du 18 janvier 1956 créant l’Armée nationale populaire.À la fin de 1955, la réunification allemande n’était plus qu’un dossier de chancellerie. La réalité était celle de deux Allemagnes. La R.D.A. achevait alors son premier plan quinquennal qui, malgré le coup de frein du Nouveau Cours, avait porté la production industrielle à l’indice 190 et le revenu national brut à l’indice 181 (100 en 1950). Les trois quarts de ce revenu national étaient produits par le secteur socialisé. Dans l’industrie, la proportion atteignait 79 p. 100, et dans l’agriculture 25 p. 100. Le S.E.D., épuré après juin 1953, groupait 1 400 000 membres, mais était devenu un parti de cadres qui, aux élections du 17 octobre 1954, avait su mobiliser en faveur des listes qu’il dominait 98,4 p. 100 des électeurs. Dans la démocratie populaire qu’était devenue la R.D.A., les premières bases du socialisme avaient été jetées.3. L’ère Khrouchtchev: déstalinisation et défi à l’Occident (1956-1961)Des changements difficiles et limitésLe XXe congrès du P.C. de l’U.R.S.S. (du 14 au 25 février 1956) et la condamnation par Khrouchtchev des crimes de Staline furent assurément une surprise pour les dirigeants de la R.D.A.: le message de vœux envoyé par le S.E.D. au congrès le 14 février 1956 se terminait en effet par: «Vivent les invincibles leçons de Marx, Engels, Lénine et Staline.» La déstalinisation posa en République démocratique allemande des problèmes qui, sans conduire à des cassures aussi profondes que dans les autres démocraties populaires, n’en dominèrent pas moins pendant plusieurs années la vie du parti et de la République.Dès le 4 mars, Walter Ulbricht, au nom du Politbüro, tirait les enseignements du XXe congrès: retour aux principes léninistes de la «direction collective», condamnation du culte de la personnalité, refus de ranger Staline parmi les «classiques du marxisme». Quelques jours après, il mentionnait des résistances à l’intérieur du S.E.D.; beaucoup de jeunes gens venus au parti depuis la guerre avaient pris l’habitude d’accepter sans discussion les dogmes et déclaraient: «J’ai été nourri de Staline et je crois en lui.» À la IIIe conférence du parti, du 14 au 30 mars 1956, Ulbricht présenta certes les objectifs du IIe plan quinquennal, mais on y discuta aussi du culte de la personnalité et de la coexistence pacifique. En conclusion, la conférence approuvait les résolutions du XXe congrès de Moscou et se prononçait pour un «élargissement de la démocratie» qui donnerait aux masses organisées par les partis politiques et le Front national des responsabilités plus grandes dans l’administration. Il recommandait un respect plus strict de la «légalité socialiste». C’était admettre qu’elle avait souffert maintes entorses durant la période précédente. De fait, successivement furent graciées ou réhabilitées les principales victimes du raidissement stalinien du printemps de 1953: Fechner, Dahlem, Ackermann entre autres.Les discussions à l’intérieur du parti furent fort vives; dès le 21 avril, le Politbüro était obligé de mettre en garde les membres du S.E.D. contre un «anarchisme» particulièrement sensible chez les étudiants qui étaient allés jusqu’à préconiser l’élection directe des dirigeants par la base, au lieu des élections par échelons, traditionnelles dans le parti. Et Neues Deutschland , organe officiel du parti, de revenir fréquemment durant le printemps et l’été de 1956 sur la nécessité de maintenir le «centralisme démocratique», c’est-à-dire l’application par les instances inférieures des décisions des instances supérieures.Déstalinisation dans le calmeC’est au plus fort de ces controverses que se produisirent les troubles de Pologne (juin et oct. 1956) puis le soulèvement hongrois (oct.-nov. 1956). Ils furent vivement ressentis en R.D.A. sans toutefois provoquer de manifestations graves. Seuls les étudiants s’agitèrent, en particulier ceux de la faculté de médecine et d’art vétérinaire de Berlin, et des écoles supérieures de Dresde: les Allemands hostiles au régime savaient depuis juin 1953 qu’il était illusoire d’attendre l’arrivée des chars américains. Une surveillance policière accrue et quelques arrestations suffirent à maintenir le calme dans une population à laquelle le S.E.D. expliqua que l’exemple polonais n’était pas applicable à la R.D.A., que chaque démocratie populaire avait son développement propre, que dès juin 1953 la direction du parti avait corrigé les erreurs de la période précédente et que la condamnation du culte de la personnalité ne pouvait la viser; qu’enfin il fallait rester vigilant, vu la situation particulière de l’Allemagne, et que seule la collaboration étroite avec l’U.R.S.S. pouvait déjouer les entreprises «fascistes» comme celles de Budapest.Moyennant quoi on assista à une déstalinisation fort limitée. Le S.E.D. fut des premiers à reconnaître le régime Kadar, tandis qu’il critiquait ouvertement certains aspects du «révisionnisme» polonais, en particulier la dissolution des coopératives agricoles de production. Par contre, il concéda la création de «comités de travailleurs», inspirés des conseils ouvriers de Pologne, mais qui ne virent jamais réellement le jour. La promesse de l’introduction progressive de la semaine de 45 heures dans les usines à partir de janvier 1957 et de l’abolition définitive des dernières mesures de rationnement en mars 1958 suffirent à empêcher toute action violente.Les universités connurent une agitation plus grande: controverse avec le philosophe marxiste Ernst Bloch, procès contre Harich, disciple de Lukács (mars 1957), fuite à l’Ouest de Kantorowicz, professeur de littérature à Berlin (août 1957). En même temps, il était périodiquement réaffirmé qu’il ne pouvait y avoir de «coexistence pacifique» sur le plan idéologique. D’où la sévère condamnation du révisionnisme de Tito quand le Parti communiste yougoslave publia son nouveau programme en mai 1958.Tous ces débats n’affectèrent qu’assez peu l’équipe dirigeante. La seule crise grave fut l’élimination, en février 1958, du groupe Schiderwann-Wollweber (le premier membre du Politbüro, le second ministre de la Sécurité) accusé tout à la fois d’«activité fractionnelle», c’est-à-dire d’opposition à la majorité du comité central et à son premier secrétaire, Ulbricht, et de «conception opportuniste», peut-être en liaison avec le «groupe antiparti» Molotov-Malenkov, éliminé par Khrouchtchev en juillet 1957. L’équipe Ulbricht-Grotewohl garda la situation en main. Le second se vit de nouveau confier la présidence du gouvernement en décembre 1958 et, lorsque Pieck mourut en septembre 1960, Walter Ulbricht fut tout naturellement mis à la tête du Staatsrat , qui remplaça la présidence de la République. Il devint ainsi le premier personnage de l’État, tout en restant premier secrétaire du S.E.D.: l’identification État-Parti était plus poussée que jamais.Retour à la «construction du socialisme»En marxistes conséquents, les dirigeants de la R.D.A., pour surmonter les difficultés de la déstalinisation, comptaient avant tout sur le développement économique. Ralliés aux vues de Khrouchtchev, ils pensèrent que le système socialiste allait permettre un progrès tel qu’à courte échéance la production et, par suite, le niveau de vie du camp socialiste allaient dépasser ceux du camp capitaliste: compétition qui justifiait la politique de «coexistence pacifique» en transposant sur le terrain économique l’inutile et dangereux affrontement de la guerre froide.La IIIe conférence du parti, en mars 1956, fut consacrée à l’approbation des directives pour le deuxième plan quinquennal (1956-1960). L’accent était de nouveau mis sur les industries de base qui avaient pris un certain retard après le coup de frein du Nouveau Cours. Mais il s’agissait autant d’une transformation qualitative, par l’introduction des techniques les plus modernes, que d’un accroissement quantitatif. Le secteur socialiste de la production devait être développé aussi à la campagne par l’extension des coopératives agricoles (L.P.G.) et des coopératives artisanales. Enfin le plan était coordonné avec celui des autres démocraties populaires pour conduire à une intégration économique croissante du camp socialiste. À son terme, à la fin de 1960, l’indice de la production industrielle devait être 155 par rapport à 1955 (indice 100), dont 90 p. 100 provenant du secteur socialisé. Or les statistiques officielles donnèrent 152 et 88,7 p. 100. Fort de ce succès, Walter Ulbricht, au Ve congrès du parti, en juillet 1958, dix-huit mois avant le terme normal du deuxième plan, proclamait que «les bases du socialisme étaient dans leur ensemble fondées en R.D.A.». Il s’agissait, au cours du troisième plan quinquennal (1961-1965), de «conduire le socialisme à la victoire» afin de démontrer la supériorité de ce système et de tenir, dans le cadre des deux États allemands, le défi lancé par Khrouchtchev aux États-Unis. La production industrielle devait considérablement progresser, mais surtout la socialisation de l’agriculture devait être hardiment poussée: l’opportunisme temporisateur de Oelssner, membre du Politbüro, fut publiquement dénoncé. Cela demandait un grand effort, donc un combat accru contre les restes des idées petites-bourgeoises, un durcissement idéologique. L’aide des pays frères et notamment de l’U.R.S.S. était également nécessaire: aussi décida-t-on de faire coïncider le plan de la R.D.A. avec celui qui avait été adopté en Union soviétique en janvier 1959. Les deux dernières années du deuxième plan quinquennal furent ajoutées au troisième plan quinquennal prévu, pour constituer un plan septennal (Siebenjahrplan , 1959-1965). On insistait cette fois sur l’augmentation du niveau de vie, le revenu national devant passer de 63 à 100 milliards de deutsche Mark. La consommation par habitant en produits, tant agricoles qu’industriels, fut précisée à l’hectogramme près. Dès 1961, les citoyens de Berlin mangeraient mieux que ceux de Bonn et, au terme du plan, l’économie de la R.D.A. l’emporterait sur celle de la République fédérale. Ainsi serait réalisée la victoire du socialisme en Allemagne. Du moins en Allemagne orientale.L’offensive diplomatique de 1958-1959La politique de Khrouchtchev visait à consolider la République démocratique plus qu’à réaliser l’unité de l’Allemagne. Dès la IIe conférence de Genève (27 oct.-16 nov. 1955), le S.E.D. avait déclaré que seules pouvaient aboutir à un résultat des «négociations entre les deux États allemands, sur la base de l’égalité des droits». Complétée en mai 1956 par l’affirmation que dans une Allemagne unifiée «les conquêtes sociales et politiques de la R.D.A. devaient être conservées», on aboutit à la théorie d’allure confédérale, dite à l’Ouest théorie des «deux États allemands». Le mot apparut dans un communiqué du comité central en date du 30 janvier 1957 et la position fut constamment réaffirmée par la suite.La remise en question par Khrouchtchev du statut de Berlin en novembre et décembre 1958, comme la menace répétée en 1959-1962 de signer un traité de paix séparé avec la R.D.A., n’avait d’autre but que d’amener les Occidentaux à discuter avec le gouvernement de Walter Ulbricht, donc à reconnaître d’une manière ou d’une autre la République démocratique. L’introduction en Allemagne fédérale du service militaire obligatoire par la loi du 6 mars 1956 (il fut rétabli en R.D.A. le 24 janvier 1962) et la crainte des Soviétiques de voir ce pays accéder rapidement à l’arme atomique donnèrent à ces manœuvres diplomatiques une acuité telle que l’on parla à l’Ouest d’une seconde crise de Berlin. La «coexistence pacifique» sembla remise en question. Une nouvelle conférence des ministres des Affaires étrangères se réunit à Genève de mai à août 1959; y assistaient pour la première fois des observateurs des deux Allemagnes.Les propositions orientales de pacte de non-agression entre les deux États allemands et de désarmement progressif se heurtèrent à la thèse occidentale de la non-reconnaissance de la R.D.A. et d’élections libres comme base de tout règlement du problème allemand. En somme, de part et d’autre, fidélité aux positions de 1954.L’échec du plan septennalCe problème allemand, les lois du développement historique telles que les comprenaient les marxistes seraient-elles capables de le résoudre? Il fallait pour cela que fût gagné le pari de Khrouchtchev et d’Ulbricht. Or il fut perdu. En République démocratique, ce fut la crise de 1961-1962. Les ambitieuses perspectives du plan septennal ne purent être tenues. Dans l’industrie les investissements auraient dû s’élever à 6,5 milliards, ils ne dépassèrent pas 3,3; par contre, les salaires augmentèrent plus vite que prévu par suite de la pénurie naturelle de la main-d’œuvre aggravée par les fuites à l’Ouest. En bref, un processus d’inflation ayant pour conséquence un accroissement annuel de la production industrielle de 4,8 p. 100 au lieu des 9 à 10 p. 100 prévus. À quoi s’ajouta une crise agraire. Le Ve congrès (juill. 1958) avait affirmé que seules les grandes entreprises socialisées étaient capables de porter la production agricole au niveau des besoins d’une société hautement industrialisée. En conséquence, en décembre 1959, le comité central du S.E.D. décida d’achever la socialisation de l’agriculture. Un vaste mouvement s’ensuivit: militants du parti et agronomes furent envoyés à la campagne pour persuader les paysans d’entrer dans les coopératives. Sans doute les violences furent-elles rares mais, dans une lettre à Grotewohl, les dirigeants de l’Église évangélique de Berlin-Brandebourg se firent l’écho de «pressions morales», et de nombreux agriculteurs préférèrent passer à l’Ouest. Le 25 avril 1960, la Chambre du Peuple proclamait fièrement que tous les paysans étaient désormais groupés en coopératives; mais la mutation avait affaibli l’agriculture au point de la rendre incapable de faire face aux mauvaises conditions atmosphériques de 1961: par rapport aux années 1955-1959 (indice 100), la production agricole de 1961 fut à l’indice 78. Or, dès le début de cette année, des difficultés de ravitaillement se firent sentir: pénurie de viande, en particulier, que le manque de devises ne permit pas de pallier. Tout se combinait pour donner à la crise une ampleur qui rappelait celle de 1953. Au début d’août 1961, le nombre des passages à l’Ouest atteignait 1 400 à 1 600 par jour. Cette hémorragie d’hommes ne faisait qu’aggraver la crise. Une solution draconienne s’imposait: ce fut le Mur de Berlin.4. Crise et stabilisation (août 1961-avr. 1968)La construction du Mur de BerlinLe 13 août 1961, à 2 heures du matin, des milliers de membres de la police populaire et des groupes de combat des usines prirent position à la limite du secteur oriental de Berlin et y édifièrent une ligne de barbelés et de chevaux de frise, par la suite remplacée par un mur et prolongée tout autour de Berlin-Ouest. Seuls restaient ouverts quelques points de passage sévèrement contrôlés: la libre circulation entre les deux parties de Berlin était ainsi interrompue.La décision de construire le Mur n’avait assurément pas été prise d’un cœur léger; il était facile de prévoir tout le parti que la propagande adverse allait en tirer. Elle répondait d’abord à une nécessité immédiate: créer les conditions indispensables pour résoudre la crise économique et sociale. Il fallait mettre fin à l’important trafic de devises et de marchandises, qui se faisait par Berlin au détriment de l’économie de la R.D.A. et stabiliser la main-d’œuvre en arrêtant l’hémorragie des travailleurs spécialisés attirés par les perspectives et les promesses de l’Ouest. Mais puisqu’il y avait nécessité, les dirigeants s’efforcèrent de compenser l’inévitable perte de prestige par des avantages politiques. En prévision d’éventuelles réactions des Occidentaux, cooccupants avec l’U.R.S.S. de Berlin, le gouvernement de la République démocratique se fit par avance couvrir par ses alliés: c’est, officiellement, à la demande des États du pacte de Varsovie réunis le 11 août, que la R.D.A. établit «le long de la frontière de Berlin-Ouest un ordre tel que la voie soit barrée au travail de sape contre les pays du camp socialiste». Moyennant quoi la ligne de démarcation entre les deux Berlin devenait une frontière d’État, c’est-à-dire que l’ex-secteur soviétique de la capitale était de facto érigé en morceau du territoire de la R.D.A., malgré la fiction juridique du maintien des droits des quatre puissances occupantes dans le Grand Berlin. Cette fiction se manifesta cependant par la libre circulation entre les deux Berlin des troupes comme des ressortissants des quatre puissances et par le fait que les soixante-six élus de Berlin-Est à la Volkskammer n’eurent que voix consultative (de même que les députés de Berlin-Ouest au Bundestag de Bonn).Indiscutablement, le Mur achevait territorialement la R.D.A.Les nouvelles méthodes de planificationDerrière le Mur, on se mit à l’œuvre pour résoudre la crise, non sans tâtonnements d’ailleurs. Le système de planification fut plusieurs fois modifié: Karl Mervis, du Politbüro, fut nommé président de la nouvelle commission de planification en juillet 1961, mais démis de ses fonctions en janvier 1963. Son successeur Erich Apel devait se suicider en décembre 1965. On fit aussi appel à l’aide de l’U.R.S.S.: réunion du Comecon à Moscou en juin 1962. Mais c’est le VIe congrès (15-21 janv. 1963) qui marqua le début du redressement. Après une franche analyse de la crise, Walter Ulbricht ne mentionnait plus le plan septennal, mais un «plan perspectif» 1964-1970 à réaliser par un système plus souple de plans annuels et suivant des méthodes nouvelles. Celles-ci furent élaborées dans les premiers mois de 1963.Le nouveau système économique de planification et de gestion de l’économie (Neues ökonomisches System ), influencé par les théories de Libermann en U.R.S.S., s’appuyait sur la prévision et l’équilibre de gestion des entreprises. Limité d’abord à l’industrie, il fut, en décembre 1965, étendu à tous les secteurs de la vie sociale. Pour l’appliquer, on vit reparaître les ministères spécialisés des mines, de la métallurgie, de l’industrie chimique, etc., supprimés en 1958. Les pouvoirs de la commission de planification furent étendus et diversifiés: elle devint responsable tout à la fois du plan perspectif et du plan annuel. Mais la révolution la plus profonde fut celle des prix industriels, calculés désormais en fonction des coûts de production et du taux de profit planifié; elle fut réalisée en trois étapes, de 1964 à 1967.Durcissement idéologiqueÀ cette reprise en main de l’économie correspondit dans le domaine idéologique et politique ce que l’on appela en R.D.A. un «renforcement du socialisme».Au lendemain du XXIIe congrès de Moscou, qui fit retirer du mausolée de la place Rouge la dépouille de Staline, la déstalinisation se marqua encore par la transformation de la célèbre Stalinallee de Berlin en Karl-Marx-Allee, et de la ville socialiste de Stalinstadt en Eisenhüttenstadt. Mais les grandes discussions des années 1956-1959 dans les domaines de la philosophie, de l’art ou de l’histoire furent peu à peu réduites. Le VIe congrès (janv. 1963) adopta un nouveau programme du S.E.D. qui, s’appuyant sur la tradition de Marx, Engels et Lénine – mais non de Staline – proclamait que la loi du développement de la société conduisait au socialisme «dans l’Allemagne entière et pas seulement en R.D.A.». Les intellectuels marxistes durent s’y rallier: Robert Havemann, professeur de chimie, qui voulait donner du marxisme une interprétation nouvelle, se fit rappeler à l’ordre, fut exclu du parti et perdit sa chaire. Le chansonnier Biermann, le romancier Stephan Heym, le réalisateur de cinéma Kurt Maezig eurent des démêlés avec les instances du parti et virent leurs productions interdites. La réunion du comité central de décembre 1965 définit une politique culturelle plus rigoureuse et le ministre de la Culture Bentzien, accusé de trop de libéralisme, fut remplacé en janvier 1966.Fidélité à l’allié soviétiqueLa ligne du parti restait très étroitement liée à celle du P.C. de l’U.R.S.S. Khrouchtchev était venu plusieurs fois en R.D.A. et s’était personnellement intéressé à la question allemande. Sa popularité y était grande et, dès le 20 juillet 1963, le journal Neues Deutschland avait officiellement adopté son point de vue dans l’affaire chinoise en condamnant la politique de Mao. Aussi sa chute (le 15 octobre 1964), provoqua-t-elle une demande d’explication à Moscou. En décembre encore, la VIIe réunion du comité central célébrait les «mérites de Khrouchtchev» et disait «la grande émotion provoquée dans notre parti et notre peuple par sa démission». Puis tout rentra dans l’ordre et le S.E.D. approuva la politique de la nouvelle équipe dirigeante à l’égard de la Chine: une déclaration du comité central du 4 septembre 1966 condamnait la révolution «culturelle» comme une politique «raciste», d’un «chauvinisme de grande puissance». De même dans les remous dus aux manifestations d’indépendance de la Roumanie qui, en 1966, secouèrent le pacte de Varsovie, la R.D.A. fut-elle aux côtés de Moscou et plaida-t-elle pour le maintien, voire le renforcement du pacte. De tous les partis communistes européens, le S.E.D. était assurément l’un des plus «orthodoxes». Cela s’exprima dans la vie politique par un renforcement de son action.Modifications institutionnellesDès février 1963, des commissions économiques étaient créées auprès du Politbüro, tandis qu’à l’occasion des élections d’octobre 1963 – élections sur une liste unique et qui donnèrent 99,95 p. 100 des voix aux candidats du Front national – le nombre des députés de la Chambre du peuple était porté de 400 à 434 au seul bénéfice du S.E.D. et des organisations de masse. Dans le même sens, le Conseil d’État (Staatsrat ), présidé par Walter Ulbricht, vit son rôle se développer au détriment du Conseil des ministres (Ministerrat ) qui se cantonna de plus en plus dans un rôle d’exécution des directives du Politbüro, du Staatsrat et de la Volkskammer. Le seul changement important dans l’équipe dirigeante fut provoqué par la mort, le 21 septembre 1964, d’Otto Grotewohl, président du gouvernement depuis la fondation de la R.D.A. (oct. 1949). Il fut remplacé par son premier vice-président Willy Stoph, un fils d’ouvrier berlinois, membre du Parti communiste (K.D.P.) depuis 1931, resté en Allemagne pendant la période nazie pour se consacrer au travail clandestin. Stoph devait devenir successivement ministre de l’Intérieur, ministre de la Défense nationale et général d’armée en même temps que membre du Politbüro. Il remania le Ministerrat en décembre 1965: sur les dix vice-présidences, six allèrent au S.E.D. et une à chacun des autres partis (C.D.U., L.D.P.D., N.D.P.D. et D.B.D.). Quant aux 39 portefeuilles, 36 furent donnés au S.E.D., 2 au C.D.U. et 1 au D.B.D. L’appareil gouvernemental était entre les mains du parti.Le 8 avril 1968, une nouvelle Constitution fut mise en vigueur après avoir été adoptée par référendum à une quasi-unanimité. Ce texte, relativement bref (108 articles), n’a modifié ni les structures du régime ni la pratique gouvernementale. Il est surtout intéressant parce qu’il constitue une définition de la R.D.A. par elle-même. Ainsi affirme-t-elle être un «État socialiste de nation allemande» (art. 1er), ce qui veut dire qu’il peut exister d’autres États de nation allemande et que la R.D.A. ne prétend pas en représenter la totalité. Elle est, par contre, «l’organisation politique des travailleurs de la ville et de la campagne qui s’attachent à réaliser le socialisme sous la direction de la classe ouvrière et de son parti marxisteléniniste» (art. 1er), ce qui implique le maintien de la prépondérance du S.E.D. État allemand, État socialiste, la R.D.A. se voulait un État pacifique et condamnait «la propagande militariste et les appels à la revanche», ce qui visait les «associations de réfugiés» (Landmannschaften ) de la République fédérale. En ce qui concerne les individus, la Constitution affirmait ce qui était un état de fait: l’existence d’une citoyenneté de la R.D.A., différente de la R.F.A. Pour le reste, elle précisait les bases de la société socialiste, les droits et devoirs fondamentaux des citoyens, la structure et le fonctionnement du pouvoir d’État, la justice et la légalité socialistes. Rien de bien nouveau par rapport à la pratique antérieure, mais l’affirmation renouvelée d’un ordre étatique valable en droit comme en fait: en somme, une revendication solennelle à la «reconnaissance» par la société internationale.5. L’affirmation sur la scène internationale (1968-1973)Une action diplomatique patienteCette «reconnaissance» restait bloquée par la démocratie chrétienne dominante à Bonn. Se fondant sur les protocoles de Paris du 20 octobre 1954 selon lesquels «jusqu’à la conclusion d’un traité de paix, les États signataires (États-Unis, Grande-Bretagne, France) uniront leurs efforts en vue d’atteindre leur objectif commun – une Allemagne réunifiée, dotée d’une Constitution libérale et démocratisée, semblable à celle de la République fédérale, et intégrée à la Communauté européenne (art. 2 et 7)» –, la R.F.A. se considérait, en attendant, comme la seule représentante légitime du peuple allemand. En vertu de la théorie de la représentation exclusive (Alleinvertretung ), la R.D.A. n’existait pas en tant qu’État et n’était que «la zone d’occupation soviétique», dont les dirigeants tenaient leur pouvoir de l’occupant et non d’élections exprimant la volonté populaire. De ce fait, toute reconnaissance sur le territoire allemand d’une autorité gouvernementale autre que celle de Bonn était considérée par celle-ci comme un acte d’hostilité grave, entraînant ipso facto la rupture des relations diplomatiques. À cette doctrine Hallstein , qui condamnait la R.F.A. d’Adenauer, puis du chancelier Erhard, à l’immobilisme politique sur le plan international s’opposait le Document national de la R.D.A., élaboré en 1962, qui préconisait la confédération de deux États allemands, tout en proclamant que l’avenir de l’Allemagne était au socialisme et que la R.D.A. «comme État allemand socialiste incarnait l’avenir de la nation tout entière».En attendant une évolution des rapports avec «l’autre Allemagne», Walter Ulbricht avait obtenu la présence de la R.D.A. parmi les signataires du traité antiatomique de Moscou du 8 août 1963 et la signature, le 12 juin 1964, d’un nouvel accord d’amitié et de coopération avec l’U.R.S.S. garantissant ses frontières. Mais cette dernière devait essuyer un échec lorsqu’elle présenta, en janvier 1965, la candidature de la R.D.A. à l’O.N.U. La percée en direction du Tiers Monde, tentée au cours de cette même année par Walter Ulbricht lors d’une visite au Caire, s’avéra également décevante. Craignant les effets de la doctrine Hallstein, la plupart des pays en voie de développement limitèrent leurs relations à l’ouverture de représentations commerciales et de consulats. À la lumière de ces échecs, la R.D.A. se résolut à engager le dialogue avec Bonn: après les projets de rencontre S.E.D.-S.P.D. de 1964-1965, l’arrivée au pouvoir, en décembre 1966, du gouvernement de «grande coalition» du chancelier Georg Kiesinger – avec pour vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères le social-démocrate Willy Brandt – modifiait, il est vrai, sensiblement la situation. La «nouvelle politique à l’Est» (Ostpolitik ) de la R.F.A. visait à établir des rapports diplomatiques normaux vis-à-vis de l’U.R.S.S. et des pays socialistes, avec tous les avantages économiques et politiques qui pourraient en découler. L’obtention de ces avantages impliquait la reconnaissance des «conséquences de la guerre» en Europe centrale, notamment celle des frontières de la ligne Oder-Neisse, la renonciation au pays des Sudètes, la reconnaissance d’un second État allemand – la R.D.A. – sur le sol allemand.En avril 1967, Willy Brandt s’adressait, en tant que président du S.P.D., au VIIe congrès du S.E.D. pour lui proposer des mesures tendant à améliorer les relations humaines et économiques entre les deux Allemagnes. Conforté par l’appui que venait de lui réitérer la Conférence des partis communistes de Karlovy Vary (26 avril 1967), Willy Stoph éleva le niveau du dialogue en répondant, le 10 mai, au nom de son gouvernement par des propositions de «normalisation» entre les deux États, à commencer par leur reconnaissance mutuelle. Si ces propositions restèrent sans réponse, la volonté de sortir le «problème allemand» de l’impasse gagna néanmoins du terrain en Allemagne fédérale. Dans son rapport Sur l’état de la nation dans l’Allemagne divisée (11 mars 1968), le chancelier Kiesinger envisagea l’établissement d’un bureau d’échanges économiques à Berlin-Est et se déclara prêt à rencontrer Willy Stoph. Lors de sa réélection à la présidence du S.P.D., son ministre Willy Brandt se prononça pour le respect de la ligne Oder-Neisse, mais refusa de reconnaître la R.D.A. en droit international. Le printemps de Prague et la politique d’ouverture de l’équipe Dub face="EU Caron" カek ranimèrent la méfiance des dirigeants de Berlin-Est. Après l’établissement par Bonn de relations normales avec la Roumanie et la Yougoslavie sans reconnaissance préalable de la R.D.A., Walter Ulbricht soupçonna en effet l’Allemagne fédérale de tenter une révision des résultats de la Seconde Guerre mondiale en détachant la Tchécoslovaquie de ses alliés de l’Est. Le voyage, en juin-juillet 1968, du président de la Bundesbank, du Dr Scheel (président du parti libéral et futur ministre des Affaires étrangères de la R.F.A.), ainsi que du Dr Hermann Müller (vice-président du groupe parlementaire C.D.U.) à Prague ne fit qu’étayer ces soupçons. D’où la réunion des 14 et 15 juillet, à l’initiative de la R.D.A., du groupe des cinq (U.R.S.S., R.D.A., Pologne, Hongrie, Bulgarie) qui envoyèrent aux Tchèques un véritable ultimatum, rejeté par ces derniers. Une nouvelle réunion, le 3 août à Bratislava, somma Dub face="EU Caron" カek de lutter contre les «forces antisocialistes». Le 21, l’Armée rouge et des contingents de ses quatre alliés entrèrent en Bohême, tandis que les autorités de la R.D.A. expliquaient à leurs concitoyens médusés qu’elles contribuaient «à la protection du développement du socialisme en Tchécoslovaquie». Ces événements et la tension qui en résulta semblèrent ramener le «problème allemand» à l’époque de la guerre froide. La proposition du 8 août 1968 d’un plan de sécurité en Europe, énoncée par Walter Ulbricht devant la Chambre du peuple, resta sans écho en Occident, tandis que la R.D.A. perçut comme une provocation le voyage du président Nixon à Berlin-Ouest (févr. 1969) et l’élection du nouveau président de la R.F.A., Gustav Heinemann, le 5 mars, dans l’ex-capitale du Reich.En dépit de ce climat défavorable, la R.D.A. parvint à effectuer une percée spectaculaire sur la scène internationale. Encouragés par les entorses à la doctrine Hallstein que le gouvernement de Bonn avait dû faire pour traiter avec la Roumanie et la Yougoslavie, six pays non engagés (Irak, Cambodge, Soudan, Yémen du Sud, République arabe unie) rejoignirent les treize pays socialistes qui étaient jusqu’alors les seuls à entretenir des relations diplomatiques avec Berlin-Est.La R.D.A. et l’Ostpolitik du chancelier BrandtÀ Bonn, la victoire du S.P.D. aux élections législatives et l’arrivée de Willy Brandt, le 28 octobre 1969, à la chancellerie relancèrent la possibilité de négociations bilatérales au niveau des gouvernements des deux Allemagnes, qui devaient aboutir à une coopération contractuelle. Dans sa déclaration d’investiture, le chancelier pressenti précisa devant le Bundestag que son gouvernement n’entendait pas reconnaître la R.D.A. en droit international mais que les liens entre les deux États existant en Allemagne étaient d’une nature particulière. D’où ses quatre propositions:1. Aboutir aussi avec la R.D.A. à un accord de renonciation mutuelle au recours à la force.2. Respecter le statut spécial de Berlin placé sous la responsabilité des quatre alliés, tout en donnant à Berlin-Ouest «la possibilité de contribuer à l’amélioration des relations politiques, économiques, culturelles entre les deux parties de l’Allemagne».3. Intensifier les échanges commerciaux interallemands, le ministère des Affaires panallemandes devenant celui des Relations interallemandes.4. Ouvrir des discussions avec la Pologne sur la base «du respect et, le cas échéant, de la reconnaissance des frontières».Même si le nouveau chancelier maintenait le refus de reconnaître l’autre État sur le plan international, sa déclaration impliquait une reconnaissance de facto , c’est-à-dire l’abandon de la doctrine Hallstein, le traitement de la R.D.A. comme partenaire sur un pied d’égalité. Par ailleurs, la reconnaissance de Berlin-Ouest comme entité différente des deux États mit fin à la fiction du «douzième Land» de la R.F.A., inscrite dans la Constitution de 1949 mais suspendue par les Occidentaux. De même, l’éventualité d’une reconnaissance des frontières de l’Oder et de la Neisse mit fin au mythe adenauérien d’une récupération possible des anciens territoires de l’Est «provisoirement sous administration polonaise». Cette mutation fondamentale de la politique ouest-allemande suscita plus d’enthousiasme à Moscou qu’à Berlin-Est, où le comité central du S.E.D. des 13 et 14 décembre 1969 récusa le «caractère spécial» des relations interallemandes, et suggéra l’élargissement des discussions techniques antérieures ainsi que la signature d’un traité fondé sur la reconnaissance en droit international. Le 17 décembre, Walter Ulbricht proposa au président de la R.F.A. l’ouverture de négociations, en janvier 1970, sur cette base. Même s’il fut entrecoupé de polémiques et de retours en arrière, le processus engagé aboutit aux rencontres historiques entre Willy Stoph et Willy Brandt, le 19 mars 1970 à Erfurt (Thuringe, R.D.A.) et le 21 mai à Kassel (R.F.A.). Malgré cette reconnaissance de facto , les thèses en présence restaient inconciliables. Aussi les deux chefs de gouvernement décidèrent-ils de s’accorder un temps de réflexion, d’autant plus que la nouvelle Ostpolitik se heurtait aux réserves de l’U.R.S.S. qui entendait en être la première bénéficiaire. L’accord signé le 12 août 1970 à Moscou par le chancelier Brandt, comportant l’engagement de respecter «sans restriction l’intégrité de tous les États en Europe dans leurs frontières actuelles» et à les considérer comme inviolables «y compris la ligne Oder-Neisse qui forme la frontière occidentale entre la république populaire de Pologne et la R.D.A.», ouvrit la voie aux alliés polonais et est-allemands pour régler leurs rapports avec la R.F.A. – la Tchécoslovaquie étant provisoirement «empêchée par sa normalisation intérieure». Avec la Pologne, la situation fut apurée par la signature d’un traité, le 18 novembre 1970, consacrant la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse. Les négociations devaient s’avérer plus complexes avec la R.D.A.Fin de l’ère Ulbricht et début de l’ère HoneckerAu début de novembre 1970, Walter Ulbricht récusait publiquement «les fonctions prétendument panallemandes» des quatre puissances occupantes et proposait à Bonn des négociations directes sur l’ex-capitale du Reich; geste qui devait provoquer l’irritation de Moscou comme de Washington et conduisit sans doute à la «retraite» du premier secrétaire du S.E.D. Par un bref communiqué du 3 mai 1971, le plénum du comité central annonça que l’intéressé était libéré de sa charge à sa demande, et qu’Erich Honecker était désigné à l’unanimité pour lui succéder au secrétariat du Parti. En remerciement des services rendus, Walter Ulbricht demeurait président du Conseil d’État et se voyait nommé président du S.E.D., poste créé à son intention. Les griefs formulés a posteriori contre le vieux leader – autoritarisme, goût pour les réalisations de prestige trop coûteuses, penchant pour les anticipations idéologiquement infondées, arrogance allant jusqu’à exalter la supériorité du niveau de vie de son pays par rapport à celui de l’U.R.S.S. – ne pouvaient masquer le fait que cet homme de soixante-dix-huit ans, installé comme les prédécesseurs de Willy Brandt dans le contexte de la guerre froide, constituait désormais un obstacle à la mise en œuvre de la nouvelle politique de détente.Le VIIIe congrès du S.E.D., convoqué à Berlin du 15 au 19 juin 1971, se déroula en l’absence de l’homme qui avait été l’objet d’un véritable culte de la personnalité. L’allocution qu’il avait rédigée fut lue par Hermann Axen, membre du Bureau politique. Elle ne contenait qu’une phrase sur son départ et une simple annonce, sans le moindre éloge, de la nomination de son successeur. Le rapport d’activité du nouveau secrétaire, Erich Honecker, permit à celui-ci de dresser le bilan de la fin de l’ère Ulbricht tout en développant, avec une concision et une sobriété qui détonnaient par rapport au style antérieur, les objectifs qualitatifs de la R.D.A. à la veille des grands accords internationaux conduisant à sa reconnaissance et à son entrée à l’O.N.U.Avec 1 909 859 membres (dont 64 579 candidats), soit un adhérent sur six citoyens de plus de dix-huit ans, le S.E.D. de 1971 enregistrait une augmentation de 16,7 p. 100 de ses effectifs par rapport au précédent congrès d’avril 1967. S’il convient de nuancer l’affirmation suivant laquelle 76,8 p. 100 de ces adhérents appartenaient à la «classe ouvrière» dans la mesure où une proportion non négligeable assumait des fonctions de direction au sein du Parti, de l’État et d’autres institutions représentatives, le rajeunissement – 45 p. 100 des adhérents ont moins de quarante-cinq ans – est néanmoins sensible et la proportion de femmes (28,7 p. 100), dont certaines occupent des postes importants, relativement élevée. Dix-huit d’entre elles siègent au comité central, mais une seule, l’agronome Margaret Müller, figure parmi les candidats puis suppléants au Politbüro, dont les seize membres sont masculins (elle sera rejointe en 1976 par la candidate Inge Lange). Sur les quarante-deux ministres du gouvernement, on ne trouve qu’une seule femme, Margot Honecker, à la tête de l’Éducation nationale. Pour indéniable qu’elle fût, l’émancipation des femmes s’inscrivait dans les impératifs de l’État socialiste, déterminés, comme toutes les questions importantes, par la direction du S.E.D. Ainsi, au Conseil d’État, présidé jusqu’à sa mort, le 1er août 1973, par Walter Ulbricht, treize des vingt-quatre membres étaient des dirigeants du Parti socialiste unifié. La proportion était encore plus significative au Conseil des ministres, avec trente-trois membres du S.E.D. sur trente-neuf ministres. La commission de planification était dirigée par un membre du comité central, tout comme l’Inspection ouvrière et paysanne, la police populaire et l’armée.Sur le plan économique, les cinq dernières années de l’ère Ulbricht se caractérisaient, selon les indications de Willy Stoph au VIIIe congrès, par un accroissement du revenu national de 5,2 p. 100 par an alors que, pendant la même période, la croissance était de 4,5 p. 100 en R.F.A. et de 5,7 p. 100 en France. Cet essor était dû essentiellement à la production industrielle, en augmentation de 37 points, notamment grâce aux résultats spectaculaires obtenus dans l’électronique, la pétrochimie, la construction mécanique et les produits de transformation de la métallurgie. La progression de l’industrie énergétique (indice 118), des industries textiles et alimentaires (indice 124) restait par contre en dessous des objectifs fixés. Constat identique pour l’agriculture (indice 108; 1965 = indice 100). En ce domaine, Erich Honecker incrimina une série d’années climatiquement désastreuses en soulignant que la socialisation, loin de freiner la production agricole, avait au contraire permis sa modernisation et amélioré sensiblement l’approvisionnement des grandes villes. Si les prévisions du Plan n’avaient été réalisées qu’à 92 p. 100 pour le logement (365 000 logements construits au lieu de 400 000), on enregistrait néanmoins une augmentation de 22 p. 100 du revenu réel par habitant entre 1965 et 1970, et un développement de la consommation légèrement supérieur (+ 25 p. 100). Ce développement, ajouté à celui du commerce extérieur (+ 60 p. 100), dont 40 p. 100 s’effectuaient avec l’U.R.S.S., explique certains déséquilibres entre l’offre et la demande auxquels les autorités avaient dû réagir par des économies d’électricité et le freinage de la consommation intérieure.C’est sans doute pour mieux maîtriser la production que le gouvernement de la R.D.A. étatise, durant le premier semestre de 1972, les entreprises industrielles restées au secteur privé ou mixte (halbstaatlich ). Les résidus du capitalisme ne subsistaient désormais que dans l’artisanat, le commerce de détail, les professions libérales. Les personnes travaillant dans ce dernier secteur ne représentaient plus que 3 p. 100, les coopérateurs paysans et artisans 12 p. 100, les salariés des «entreprises du peuple» (V.E.B.) et du secteur public formant les autres 85 p. 100.La séparation totale des deux États allemands (Abgrenzung) et la signature du Traité fondamental avec la R.F.A.Si l’arrivée au pouvoir d’un nouveau premier secrétaire du S.E.D. permettait d’aplanir les divergences avec l’U.R.S.S., l’orientation de celui-ci semblait plutôt marquer un durcissement par rapport à l’Ostpolitik du chancelier Brandt. Affirmant que le processus de différenciation entre la R.D.A., «État socialiste», et la R.F.A., «État impérialiste», ne pouvait que s’accentuer, le comité central du S.E.D. rejetait l’idée d’une «unité de la nation allemande» et le «caractère particulier des relations» entre les deux États. À partir de cette analyse et «pour sauvegarder la paix», Erich Honecker proposa la convocation d’une conférence sur la sécurité européenne – proposition déjà faite sans succès par Walter Ulbricht –, l’adhésion de la R.D.A. à l’O.N.U. et à ses organismes spécialisés, l’établissement avec la R.F.A. de «relations normales gouvernées par le droit international» ainsi que la normalisation des relations avec Berlin-Ouest, à condition que le Sénat de la ville reconnaisse son caractère d’entité politique, dotée d’un statut particulier, indépendante de la R.F.A.En Occident, Erich Honecker apparut comme le théoricien de l’Abgrenzung , c’est-à-dire d’une séparation totale des deux Allemagnes, cependant que Brejnev manifestait son optimisme quant à une possibilité d’entente sur le statut de Berlin. Après des discussions durant tout l’été de 1971, un accord en ce sens était effectivement signé le 3 septembre entre les quatre puissances occupantes. Tout en reconnaissant l’existence de «liens» entre les secteurs occidentaux de l’ex-capitale, ce document établissait l’existence de l’entité particulière de Berlin-Ouest, distincte de la R.F.A. Sur la base de cet accord-cadre, Egon Bahr, secrétaire d’État à la chancellerie fédérale, et Michael Kohl, secrétaire d’État à la présidence du Conseil de la R.D.A., reprirent et élargirent les conversations techniques de novembre 1970 pour aboutir, le 11 décembre 1971, à la signature de deux accords. L’un, «sur les facilités et améliorations du trafic des voyageurs et visiteurs, et les problèmes d’enclaves par échange de territoire» entre la R.D.A. et Berlin-Ouest. L’autre, «sur la circulation des personnes et des marchandises civiles entre la R.F.A. et la R.D.A.». Du point de vue de cette dernière, les deux textes complétaient le traité de Moscou du 13 août 1970, Bonn reconnaissant ainsi la souveraineté territoriale de la R.D.A., y compris sur l’ancien secteur oriental de Berlin-Ouest.Les deux États ne contestant désormais plus ni leur existence ni leurs frontières réciproques, il restait à régler leurs relations futures. Ce fut l’objet du Traité fondamental, paraphé à Bonn le 9 novembre 1972 et signé à Berlin le 21 décembre 1972, au terme d’une année de négociations difficiles.En dix courts articles, ce traité prévoyait:– Le développement de «relations normales de bon voisinage sur la base de l’égalité des droits».– L’inviolabilité des frontières communes et le respect de l’intégrité territoriale.– La renonciation réciproque à représenter l’autre État sur le plan international.– L’échange de représentations permanentes.«Ce traité, déclara le secrétaire d’État Kohl, s’intègre dans l’ensemble formé par les traités entre l’U.R.S.S., la Pologne et la R.F.A., qui marquèrent le début d’une nouvelle étape dans la coexistence pacifique des peuples et des États sur notre continent.» Ce qui n’empêcha pas Erich Honecker de préciser les limites de l’accord en réaffirmant, dans une interview du 22 novembre au New York Times , les principes de la souveraineté de la R.D.A. selon la théorie de l’Abgrenzung .La course à la reconnaissance de la R.D.A.Quelles qu’en fussent les limites, ce traité ouvrait à la R.D.A. l’accès à la scène internationale. Le jour même de l’interview d’Erich Honecker, la Conférence générale de l’O.N.U. décidait à l’unanimité l’admission de l’État est-allemand à l’U.N.E.S.C.O., le secrétaire général de l’O.N.U. se déclarant prêt à lui accorder immédiatement un siège d’observateur en attendant un vote de l’Assemblée générale. Ces nouvelles provoquèrent une véritable course à la reconnaissance. En dépit d’une résolution de l’O.T.A.N. demandant à ses membres de coordonner leur démarche et de ne pas reconnaître «formellement» le deuxième État allemand, la Belgique devança tous ses alliés en acceptant l’ouverture d’une ambassade à Bruxelles, le 27 décembre 1972. À la même date, la France et l’Angleterre ouvrirent des pourparlers qui aboutirent, le 9 février 1973, à l’établissement de relations diplomatiques. Dans l’intervalle, quinze autres États, dont cinq appartenant à l’O.T.A.N. (Pays-Bas, Luxembourg, Islande, Danemark, Italie), l’Espagne franquiste, la Suisse et six pays du Tiers Monde les avaient précédées. Le 18 septembre 1973, l’Assemblée générale des Nations unies admettait par acclamation les deux États allemands contre la seule voix d’Israël, opposé à une reconnaissance de la R.D.A. qui refusait de payer des réparations pour les crimes du IIIe Reich. Reconnue par quatre-vingt-quinze pays sur cent trente-cinq existant alors dans le monde, la R.D.A. avait gagné la bataille de sa légitimation.6. L’édification de la «société socialiste développée» (1974-1980)Le renforcement de l’État socialisteSi cette reconnaissance renforçait incontestablement l’État est-allemand, elle l’obligeait aussi à affirmer plus nettement son identité socialiste. La nouvelle équipe dirigeante avec à sa tête Erich Honecker, premier secrétaire du S.E.D. depuis le VIIIe congrès de 1971, Willy Stoph, élu après la mort d’Ulbricht en août 1973 président du Conseil d’État, et Horst Sindermann, successeur de ce dernier à la présidence du Conseil des ministres, avait parfaitement conscience que la normalisation de ses rapports avec la R.F.A. et l’entrée de la R.D.A. dans les instances internationales constituaient un défi à leur «société socialiste», qui devait prouver à la fois sa fidélité aux «pays frères» et sa compétence, voire sa supériorité, à résoudre les problèmes socio-économiques face à un monde capitaliste en crise.D’où la modification, en octobre 1974, de la Constitution de 1968, insistant sur l’orientation socialiste de la R.D.A. dans la continuité des «traditions révolutionnaires de la classe ouvrière allemande»; l’entrée en vigueur, en janvier 1976, d’un Code civil socialiste remplaçant le Code civil bourgeois; le renouvellement, en octobre 1976, de la Chambre du Peuple qui confirmait la prépondérance du S.E.D. et des mouvements de masse adjoints en rajeunissant ses cadres. En même temps, la R.D.A. accrut sa coopération avec la communauté socialiste en signant, le 7 octobre 1975, à Moscou, un nouveau traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle avec l’U.R.S.S. jusqu’en l’an 2000, garantissant le rapprochement continu entre les deux nations et l’avenir de la R.D.A. dans la voie du socialisme vers le communisme – coopération accentuée par l’intégration économique croissante de la R.D.A. dans la C.A.E.M., organe d’«interpénétration planifiée des capacités de recherche et de production des pays socialistes». Dans ce cadre, près de la moitié des travaux de recherche effectués par l’Académie des sciences de la R.D.A. l’étaient en coopération avec l’U.R.S.S.; des échanges de travailleurs et de techniciens se multiplièrent entre les deux pays, tandis que le mouvement est-allemand de la jeunesse (F.D.J.) participait à la construction du gazoduc Soyouz. Avec la Pologne, la R.D.A. participa à la construction d’un combinat d’industrie cotonnière à Zawiercie, avec la Tchécoslovaquie à l’installation d’une conduite d’éthylène de 138 kilomètres pour un combinat pétrochimique. Cette interpénétration économique s’accompagna aussi d’une plus grande concertation politique. Précédées ou suivies de nombreuses réunions de travail entre responsables de la hiérarchie politique, les rencontres se multiplièrent entre Leonid Brejnev et Erich Honecker (vingt en cinq ans), soulignant le réalignement complet de la R.D.A. sur les positions soviétiques, après les velléités d’autonomie qui avaient provoqué le limogeage de Walter Ulbricht.L’intensification de la productivité liée au progrès socialLa période de transition durant laquelle intervinrent le changement de l’équipe dirigeante et les réajustements nécessaires explique sans doute le retard avec lequel Erich Honecker annonça, en octobre 1975, l’application à la R.D.A. du «Programme d’intensification de la productivité», décidé en juillet 1971 à la XXVe session de la C.A.E.M. Cette nouvelle orientation s’imposait d’urgence. Car, si la R.D.A. avait réussi durant le quinquennat 1971-1975, grâce aux bons résultats de son agriculture et à une forte croissance industrielle, à maintenir un taux de croissance annuel de 5,4 p. 100, à revaloriser le salaire minimal et les retraites (+ 30 p. 100) de 5,2 millions de personnes, à augmenter le revenu net de la population de 27 p. 100, elle n’échappait pas aux difficultés que connaissaient depuis 1973 tous les pays industrialisés, par suite du renchérissement de l’énergie et des matières premières. La détérioration de 9 p. 100 du terme de ses échanges commerciaux qui en résultait notamment ne pouvait être compensée, compte tenu de sa pauvreté en ressources naturelles, que par l’«intensification de la productivité». D’où le programme en dix points (Zehn Punkte zur Intensivierung ) d’octobre 1975, qui esquissait en fait les options fondamentales du prochain plan quinquennal (1976-1980) et que compléta, en 1976, un nouveau Code du travail. Ce programme prévoyait notamment:– une meilleure utilisation de la durée du travail et une meilleure formation des travailleurs;– l’utilisation plus intensive, la modernisation et la rationalisation de la production;– la réduction des coûts de production par «l’esprit d’économie socialiste», notamment dans la consommation des matières premières et des fournitures;– l’accélération des progrès scientifiques et techniques, l’importance d’un travail de qualité et une plus grande efficacité des relations économiques extérieures.En ouvrant, le 18 mai 1976, le IXe congrès du S.E.D. dans le nouveau palais de la République à Berlin-Est, Erich Honecker établit un bilan positif de son parti – qui avait dépassé les deux millions d’adhérents – et de ses réalisations durant le dernier quinquennat, «l’un des plus fructueux de l’histoire de la R.D.A.», tout en proposant son nouveau programme «d’intensification de la productivité». L’effort accru ainsi demandé à une population de plus en plus encline à comparer son niveau de vie à celui des pays occidentaux, à commencer par la R.F.A. dont les ressortissants et les marchandises circulaient davantage depuis la normalisation des rapports, devait, il est vrai, être compensé par la satisfaction des besoins socio-culturels, qualifiée de «tâche principale» (Hauptaufgabe ). Sans cacher les difficultés de la tâche, l’un des leitmotivs favoris du premier secrétaire devint: «Nous ne pouvons consommer que ce que nous avons produit.» Celui-ci annonça un prolongement différencié des congés payés, la réduction progressive de la durée hebdomadaire du travail à 40 heures, la construction ou rénovation de 750 000 logements jusqu’en 1980, l’augmentation de 20 à 25 p. 100 du revenu réel par habitant. Ce programme social ambitieux comprenait aussi des mesures destinées à freiner un déclin démographique particulièrement préoccupant pour le développement de la R.D.A.: l’aide importante aux familles ou personnes ayant au moins trois enfants à charge, les primes aux jeunes ménages, l’allongement des congés de maternité payés, l’aide aux mères travailleuses (+ 20 000 places de crèches, installation de blanchisseries dans les entreprises, développement de l’assistance sanitaire et sociale) avec un budget de 2,2 milliards de Mark, contribuèrent à la reprise de la natalité constatée en R.D.A. à partir de 1977 (supplément de 63 300 naissances entre 1975 et 1980).Les effets de la crise mondialeLe pari de lier progrès social et progrès de la productivité a été tenu puisque la R.D.A. a réussi à maintenir une croissance économique de 5 p. 100. Cependant, les difficultés croissantes, dues notamment au renchérissement du pétrole soviétique (vendu seulement 15 à 20 p. 100 moins cher qu’au cours mondial), et un déficit annuel de près de 2 milliards de dollars dans les échanges avec les pays occidentaux pesèrent lourdement sur la balance des paiements. Face à un endettement global estimé à une douzaine de milliards de dollars, à la charge des matières premières importées et à la détérioration des conditions d’exploitation du lignite national, les autorités durent se résoudre, à partir de janvier 1976, à une forte hausse des prix des matières premières et des produits qui en contiennent, sans pouvoir la répercuter sur les prix de vente à l’intérieur. Contrairement aux responsables d’autres pays socialistes comme la Hongrie et la Pologne, qui avaient procédé à l’adéquation progressive entre prix de revient et prix de vente, ceux de la R.D.A. s’obstinèrent à vouloir opposer l’image d’une «économie saine dans un pays stable» à celle d’un monde occidental en proie à l’inflation. S’ajoutant aux autres mesures sociales, la politique de soutien des prix à la consommation qui en découla greva de plus en plus lourdement le budget de l’État, dont elle absorbait environ 40 p. 100 des dépenses.La refonte des structures industrielles par la création de cent vingt-neuf combinats, la modernisation de l’agriculture par l’introduction de méthodes de production industrielle, l’apport des sciences et des techniques dans l’accroissement de la productivité du travail et l’appui indirect de la R.F.A. utilisant ce moyen pour «humaniser les relations interallemandes» freinèrent la détérioration économique sans résoudre pour autant les problèmes liés aux handicaps structurels, à la pénurie de main-d’œuvre et de ressources naturelles. De sorte que les «Directives du Xe congrès du S.E.D. sur le plan quinquennal de développement économique de la R.D.A. dans la période 1981-1985» insistèrent davantage sur l’élévation du niveau de productivité et d’efficacité de l’appareil de production que sur les mesures sociales. Elles maintenaient toutefois la priorité à l’amélioration de l’habitat (+ 930 000 logements neufs ou rénovés) et l’augmentation de 20 à 22 p. 100 des revenus nets de la population. C’étaient là des stimulants indispensables pour soutenir l’effort demandé.7. La perspective de l’«État socialiste du peuple» (1981-1989)Dans la perspective historique du marxisme, la République démocratique allemande s’attacha à «l’édification intégrale du socialisme» (Vollendendung des Sozialismus ) qui la ferait accéder à «l’État socialiste du peuple» (sozialistischer Volksstaat ) dont l’U.R.S.S. était l’exemple. À ce stade, «la totale unité politico-morale de tout le peuple» devait se substituer à la dictature du prolétariat toujours en vigueur. Le moteur de la transformation demeurait en effet la classe ouvrière, «force dirigeante qui est représentée par son Parti marxiste-léniniste». Fort de ses 2 172 110 membres, soit 13 p. 100 de la population (16 732 486 hab. recensés en déc. 1981), le S.E.D. contrôlait plus que jamais l’appareil de l’État, l’administration, la vie économique et socioculturelle. Aucun «dépérissement» du parti, suivant l’exemple yougoslave, n’était en vue et, dans le camp socialiste, on plaisantait parfois le «marxisme à la prussienne» pratiqué en R.D.A.Sur le plan économique, après avoir surmonté la crise des années 1961-1962, la R.D.A. avait réussi, par la modernisation et la concentration de son agriculture et par une industrie entièrement «socialisée», à devenir la cinquième puissance industrielle d’Europe et la deuxième du camp socialiste après l’U.R.S.S. Mais la crise qui frappait depuis 1973 les pays industrialisés, en raison du renchérissement de l’énergie et des matières premières, contraignait ce pays, pauvre en ressources naturelles et en main-d’œuvre, à accroître constamment l’effort de productivité par le développement des sciences et des techniques ainsi que par celui de la qualification professionnelle.L’effort porta également sur l’agriculture dont la socialisation fut peut-être la seule réussie, du moins quant à la production, du camp socialiste.L’évolution démographique du pays restait une des préoccupations majeures pour l’évolution économique et sociale de la R.D.A. En dépit d’une baisse importante de la mortalité des nourrissons (taux de mortalité passé de 18,5 p. 1 000 en 1970 à 12,1 p. 1 000 en 1980) et d’une reprise de la natalité depuis 1977, favorisée par d’importantes mesures sociales, les passages à l’Ouest des années 1960-1970 et une relative fermeture à l’immigration du Tiers Monde avaient provoqué une diminution de 2 060 796 habitants entre 1949 et décembre 1981.Durant la dernière décennie, la R.D.A. réussit à améliorer le niveau de vie de sa population et réalisa un important programme socioculturel, notamment dans les domaines du logement, de la santé, de l’enseignement et de la recherche – sans parler des exploits sportifs attestés par les succès remportés dans les compétitions internationales. Sa reconnaissance en droit international, intervenue en 1973 grâce au déblocage de ses rapports avec la R.F.A. dans le cadre de l’Ostpolitik du chancelier Brandt, lui permit de jouer un rôle non négligeable dans la politique mondiale en tant qu’allié le plus fidèle de l’Union soviétique. Liée à celle-ci par un traité d’amitié et d’entraide, par des relations économiques étendues à l’intérieur du Comecon et de la C.A.E.M. (70 p. 100 de son commerce extérieur), par les accords militaires du pacte de Varsovie, qui autorisaient le stationnement de divisions et de fusées de l’Armée rouge sur son territoire, elle proclamait que l’amitié de l’U.R.S.S. était la pierre angulaire de sa politique extérieure. Au seuil de son 35e anniversaire, le 7 octobre 1984, la R.D.A. était parvenue à faire reconnaître sa légitimité en tant qu’État souverain, à égalité avec la R.F.A., par cent vingt et un États sur cent quarante-cinq. Elle avait signé environ quatre-vingt-dix accords et conventions avec les États capitalistes participant à la conférence d’Helsinki sur la sécurité. La signature d’un protocole gouvernemental sur le marquage des frontières, en novembre 1978, suivie d’autres conventions sur l’amélioration de la circulation des personnes et des marchandises avec la R.F.A., confirmait le maintien des relations «normalisées» inscrites dans le Traité fondamental de 1972. De ce fait, les spéculations sur une «réunification allemande» semblaient relever d’exercices de théoriciens. Seule une modification fondamentale de l’équilibre mondial pouvait faire disparaître la R.D.A. ... ou la R.F.A.Lors du XIe congrès du Parti socialiste unifié (S.E.D.), réuni en avril 1986 à Berlin-Est en présence de Mikhaïl Gorbatchev, les dirigeants de la R.D.A. soulignèrent l’élévation du niveau de vie de la population obtenue grâce à l’amélioration de la productivité et des échanges commerciaux. Les statistiques officielles les plus récentes faisaient état d’un volume global de 176 milliards de Mark pour 1987, avec un excédent de 3,3 milliards. Si près de deux tiers d’entre eux se faisaient, comme par le passé, avec les pays du Comecon, la R.F.A. arrivait largement en tête des partenaires non socialistes avec 25 p. 100 du tiers restant, tandis que la France – à égalité avec la Grande-Bretagne – ne dépassait pas le volume d’échanges de la Belgique et du Luxembourg réunis. Selon ces mêmes statistiques, le revenu net annuel de la population aurait crû de 4,6 p. 100, dépassant les prévisions du plan 1981-1985 de près d’un demi-point. D’où un accroissement des achats plus sensible pour les produits manufacturés, notamment les télévisions en couleurs (+ 12 p. 100) et les appareils électroménagers, que pour l’alimentation, l’approvisionnement en fruits et légumes restant l’un des secteurs critiques. Les directives du XIe congrès concernant le plan quinquennal de développement économique et social pour la période 1986-1990 s’inscrivaient dans la continuité, en insistant cependant davantage sur les facteurs qualitatifs et le développement des échanges avec les pays capitalistes: orientation qui impliquait une plus grande ouverture vers l’Ouest, ce qui ne fut pas sans répercussion sur la situation intérieure de la R.D.A.Ainsi, le 5 septembre 1987, à la veille de la visite officielle d’Erich Honecker en R.F.A., sans cesse remise depuis 1982, les autorités est-allemandes avaient toléré pour la première fois, et sans autorisation préalable, un cortège de mouvements pacifistes indépendants, organisé parallèlement à ceux de R.F.A. et de Tchécoslovaquie en faveur d’une zone dénucléarisée en Europe. Cependant, deux mois plus tard, les organes de sécurité perquisitionnaient au siège de la Bibliothèque de l’environnement installée dans les locaux de la Sionkirche de Berlin-Est et arrêtaient plusieurs personnes soupçonnées d’«activités contre l’État». Interdiction était faite par ailleurs à des jeunes gens de plusieurs villes de R.D.A. de se rendre à une rencontre de groupes pacifistes et de défense des droits de l’homme dans la capitale de la R.D.A. Ces arrestations et les procédures d’enquête engagées à leur suite furent levées grâce à l’intervention des Églises protestantes et surtout à celle d’Erich Honecker, soucieux de ne pas ternir l’image de la R.D.A. avant son voyage officiel en France, au début du mois de janvier 1988. Toutefois, les arrestations reprirent le 17 janvier 1988, après un défilé pour les libertés, organisé à Berlin-Est parallèlement à la manifestation commémorative officielle en hommage à Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Si les Églises protestantes, reçues en mars 1988 par le chef du parti et de l’État, obtinrent là aussi un règlement amiable de l’affaire, celle-ci se solda par la libération des moins compromis, l’expulsion temporaire ou définitive des autres décapitant ainsi les mouvements pacifistes, écologiques et de défense des droits de l’homme, fers de lance de la nouvelle contestation. Pour désamorcer un mouvement de mécontentement plus général, dû surtout aux limitations à la liberté de voyager hors des frontières de la R.D.A., et pour endiguer le nombre de départs définitifs dommageables à l’économie du pays, les autorités assouplirent les conditions de séjour dans les pays occidentaux, notamment les possibilités de visites en R.F.A. Une loi était en préparation à ce sujet, mais son application fut retardée dans l’attente des progrès du dialogue Est-Ouest et de l’évolution des relations interallemandes.Aspect le plus nouveau et le plus préoccupant pour les autorités de ces formes nouvelles de contestations: l’attitude d’une partie de la jeunesse qui ne se satisfaisait plus des bonnes conditions d’étude, de travail et d’exploits sportifs. L’attrait qu’exerçait sur elle le mode de vie occidental et particulièrement la musique rock allait, dans certains cas, jusqu’à des manifestations publiques, voire l’émergence de skinheads scandant des slogans néo-nazis et antisémites. À cette situation inimaginable auparavant répondit une réflexion critique d’intellectuels, comme l’écrivain Stefan Hermlin qui avait combattu le nazisme comme émigré dans la Résistance française et organisé avec Günter Grass une rencontre culturelle interallemande pour la paix, ou de revues comme Sinn und Form soulignant les effets négatifs de certaines formes de censure et d’une présentation trop schématique du passé de l’Allemagne, dont la R.D.A. serait le versant antifasciste tandis que la R.F.A. abriterait les forces réactionnaires qui avaient engendré le IIIe Reich.Ajouté à des considérations de politique internationale, ce constat explique sans doute l’attention nouvelle accordée au problème juif. Problème longtemps ignoré sous le prétexte que la législation de la R.D.A. interdisait et réprimait sévèrement toute forme de racisme et d’antisémitisme et que, par ailleurs, l’État socialiste n’avait pas à indemniser les victimes non cataloguées «combattants antifascistes» du nazisme dans la mesure où il ne se considérait pas comme le successeur du IIIe Reich. Or la commémoration du cinquantenaire du pogrom de la «Nuit de cristal» (9-10 nov. 1938) marqua de ce point de vue un tournant important. Non seulement le chef du parti et de l’État avait tenu à recevoir peu auparavant les représentants de l’Union des communautés juives de R.D.A. ainsi que le président du Congrès juif mondial, l’avocat américain Edgar Bronfman, avec lequel il envisagea l’indemnisation des victimes juives du nazisme, mais la cérémonie, organisée le 9 novembre 1988 par la Chambre du peuple en présence des plus hautes autorités de l’État et de nombreux invités occidentaux – dont le président du Conseil central des juifs en Allemagne, le bourgmestre de Berlin-Ouest et des députés du Parlement de Bonn –, exprima pour la première fois la coresponsabilité de cette partie de l’Allemagne dans le destin tragique des juifs sous le nazisme. Et ce n’est certainement pas un hasard si les évêques catholiques de R.D.A. signèrent, le 20 octobre 1988, avec les évêques de R.F.A. et d’Autriche, la première déclaration commune de repentance regrettant le silence de leurs Églises devant la persécution et l’incendie des synagogues. Étant donné que la R.D.A. ne compte que quelques milliers – tout au plus 5 000 – de citoyens juifs répartis sur les huit synagogues reconstruites du pays, la restauration et l’entretien d’un patrimoine culturel important dans cette partie de l’Allemagne incomba à l’État. C’est ainsi que les 125 cimetières juifs – dont celui de Weissensee, le plus vaste d’Europe avec 115 000 sépultures – avaient été inscrits au registre des monuments classés. La plus belle synagogue d’Allemagne, celle de l’Oranienburgerstrasse à Berlin, datant de 1862, devait être reconstruite, des expositions, des publications historiques, des présentations de musiques juive et yiddish se multiplièrent afin de sensibiliser la population à l’apport du judaïsme en Allemagne.Si la volonté des autorités de la R.D.A. d’améliorer leur position internationale se traduisit par un souci plus marqué de répondre aux aspirations de la population, par l’amélioration sensible du niveau de vie – en particulier la construction et la rénovation des logements, le développement des prestations socioculturelles, l’assouplissement des conditions de déplacement hors des frontières –, cette volonté n’alla pas jusqu’à l’adoption de la ligne politique préconisée par Mikhaïl Gorbatchev. Leur argument, selon lequel la R.D.A. n’avait pas attendu la perestroïka pour moderniser l’appareil de production, n’était certes pas dénué de fondement. Il n’en reste pas moins que les contestataires invoquaient la nouvelle orientation soviétique pour revendiquer plus de liberté et plus de transparence dans le gouvernement de la R.D.A. Faute d’avoir su entendre à temps ces aspirations et les traduire dans la réalité, le quarantième anniversaire de la R.D.A. sonna le glas d’un régime désavoué par la majeure partie d’une population qu’il prétendait incarner et lâché par l’U.R.S.S. dont il se croyait l’allié le plus fidèle.
Encyclopédie Universelle. 2012.